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« Définir la guerre civile ? Un bref éclairage de l’anthropologie sociale » (Critique, n°932-933)

Récemment paru, un texte de ma main pour le numéro 932-933 de la revue Critique où j'aborde une question nouvelle pour moi, celle de la définition de la guerre civile. Cette version est dépourvue des références bibliographiques, que l'on trouvera bien sûr dans ler texte original.

Définir la guerre civile ?
Un bref éclairage de l’anthropologie sociale

On ne peut raisonner sur les phénomènes, qu’ils soient sociaux ou naturels, sans les définir de la manière la plus précise possible. Pour être indispensable, l’exercice n’en est pas moins ardu, en particulier en matière sociale, où parvenir à une définition tout à la fois satisfaisante, opératoire et consensuelle des phénomènes relève bien souvent de la gageure. La guerre civile n’échappe pas à cette règle, à double titre. Le concept se situe en effet au croisement de deux notions aux contours tout aussi difficiles cerner dans un cas que dans l’autre. Pour commencer, une guerre «  civile  » est censée se distinguer d’une guerre ordinaire, c’est-à-dire inter-étatique, mais selon quels critères  ? Toute guerre qui n’est pas inter-étatique est-elle nécessairement une guerre civile ? Autrement dit, existe-t-il seulement deux sous-catégories de guerres, ou davantage ? Le deuxième point de discussion concerne la notion de guerre elle-même. Ainsi, tout affrontement au sein d’une société, et toute contestation de l’autorité de l’État ne constitue pas une guerre civile : il faut donc là aussi trouver un critère permettant de distinguer une authentique guerre civile des autres formes (ou niveaux) de contestation sociale.

Si la première série d’interrogation concerne donc les différenciations au sein de la catégorie générale de la guerre, la seconde porte à l’inverse sur ce qui caractérise la guerre par rapport à d’autres types d’affrontements. On commencera par une rapide (et nécessairement très incomplète) revue de littérature qui s’efforcera de relever les principaux éléments de la discussion, en particulier les plus problématiques. Dans un second temps, on s’attachera à montrer que ces questions rejoignent en partie celles auxquelles a été confrontée l’anthropologie sociale, et qu’elles peuvent bénéficier de quelques-uns de ses enseignements.

La guerre civile comme guerre spécifique

Un premier élément de définition classique de la guerre civile consiste à l’opposer à la guerre « ordinaire », c’est-à-dire celle qui intervient entre États. La guerre civile serait donc celle qui se déroule au sein d’un État, et dont cet État est lui-même partie prenante. Cette approche se heurte néanmoins immédiatement à une première difficulté : la plupart, sinon la totalité, des guerres répondant à cette définition sont de fait des guerres inter-étatiques. En d’autres termes, il n’est pas de guerre civile où l’un des deux camps au moins ne bénéficie du soutien plus ou moins ouvert de puissances étrangères. Sous cet angle, la guerre civile ne constitue à la limite plus une catégorie en soi, mais une simple variante par procuration de la guerre inter-étatique. Cette position extrême – mais non absurde – était par exemple défendue par Clausewitz. On peut évidemment la contester, mais il faut alors trouver un critère pour déterminer au-dessous de quel degré d’ingérence étrangère une guerre devrait être considérée comme civile, et au-dessus duquel il s’agirait d’une guerre inter-étatique. C’est là qu’un premier bât blesse : on ne voit pas bien ni quel indicateur serait le plus pertinent, ni à quel niveau quantitatif on pourrait le placer qui ne soit arbitraire.

Sans préjuger de la réponse qui pourrait être apportée à cette question, admettons toutefois que la guerre civile se différencie de la guerre inter-étatique. Se pose alors une autre question : toute guerre se ramène-t-elle à l’un de ces deux types ? Autrement dit, toute guerre qui n’oppose pas deux États doit-elle être considérée comme une guerre civile ? Les auteurs qui se sont posés la question ont unanimement répondu par la négative, sans pour autant s’accorder sur la manière de résoudre le problème. Ainsi, une position classique consiste à différencier la guerre civile de la guerre d’indépendance : dans le premier cas, les factions s’opposent pour gagner la direction de la société ; dans le second, l’une d’elles aspire à constituer une société séparée. Sous cet angle, les choses paraissent simples ; elles sont en réalité loin de l’être, dans la mesure où on a pu faire remarquer que ce critère exprimait au moins autant l’issue du combat que les intentions des protagonistes. Ce que les Américains appellent la « guerre civile » porte ce nom uniquement du fait de la défaite des confédérés. Si le Sud avait vaincu et avait réussi à faire sécession, cette même guerre aurait été qualifiée de guerre d’indépendance.

Quant à l’existence possible de guerres qui ne relèvent d’aucune des catégories précitées, elle apparaît évidente dès que l’on quitte le monde (relativement) ordonné des sociétés étatiques, et que l’on se tourne vers des cas ethnologiques. Ainsi que le relève Marie-Danielle Demélas-Bohy, les guerres que se livraient les différents groupes Tupinamba, bien qu’elles n’impliquassent aucune entité étatique, n’ont jamais considéré été considérées par personne comme des guerres civiles. Pour ce, une condition supplémentaire doit être remplie : que ces guerres opposent des camps qui se revendiquent d’une même communauté politique. Cette même chercheuse a ainsi émis l’hypothèse que seuls les États-nations modernes pouvaient secréter des guerres civiles et que hors de ce champ, « cette notion [de guerre civile] est dépourvue de sens ». Suggérons qu’il y a là une exagération : les historiens parlent bel et bien des guerres civiles de la République romaine sans qu’on voie pourquoi il faudrait renoncer à cette appellation. Quoi qu’il en soit, le concept de guerre civile soulève bel et bien la question de la définition de la communauté politique.

La guerre civile comme guerre

Les problèmes qui précèdent concernent ce qu’on pourrait appeler le périmètre de la guerre civile : quels en sont les acteurs, et quels objectifs ils poursuivent. L’autre versant de la définition concerne pour sa part le degré de structuration et de violence déployé par les différents camps. En d’autres termes, si on s’était jusqu’ici demandé en quoi une guerre était « civile », on en vient à présent à s’interroger sur ce qu’est une guerre.

De manière triviale, on sent bien que tout conflit collectif survenant au sein d’un État ne mérite pas le nom de guerre civile : s’agissant d’une simple échauffourée à l’issue d’une manifestation, ou même une série de manifestations violentes, telles que celles qui se sont par exemple déroulé en Nouvelle-Calédonie à l’été 2024, une telle dénomination serait manifestement abusive. À la différence des guerres inter-étatiques, les conflits entre un État et une partie de la population sur laquelle il a autorité partent par définition d’une situation radicalement asymétrique. L’Etat est l’organe qui, selon la vieille définition de Weber, dispose du monopole de la force légitime. Même si cela ne signifie pas qu’il dispose du monopole de la force tout court – une partie plus ou moins importante des citoyens peuvent être armés – on peut suivre Testart sur le fait que l’Etat dispose de « la plus grande force », une force « telle qu'aucune autre émanant de la société ne puisse lui résister ».

Cela signifie qu’une guerre civile ne peut en aucun cas constituer un produit spontané de la contestation de l’autorité de l’État : les camps partent à armes trop inégales. Pour atteindre le stade d’une guerre civile, le conflit doit atteindre certains seuils, à la fois qualitatifs et quantitatifs : pour commencer, il faut que l’opposition soit parvenue à se structurer pour se doter d’une force armée capable, au moins à un certain niveau, de faire pièce à celle de l’Etat. Il faut aussi que les hostilités entre les deux camps ne soient pas seulement larvées, mais qu’elles s’expriment de manière ouverte, par des actes homicides et des destructions.

On retombe ici peu ou prou sur la question du seuil : à partir de quand une opposition est-elle suffisamment structurée pour devoir être considérée comme une authentique force armée ? Et comment évaluer le degré des hostilités ? Faut-il par exemple décider d’un nombre d’homicides annuels minimum ? Ce nombre doit-il être exprimé de manière absolue, ou en pourcentage de la population ? Sans même parler de la difficulté concrète d’établir de tels décomptes sur une base fiable, on perçoit tout ce qu’il y a d’arbitraire à des tels choix, ce qui n’enlève rien à la nécessité de les effectuer.

Quelques points de discussion

On n’aura évidemment pas ici la prétention de régler en quelques paragraphes des questions sur lesquelles les chercheurs butent depuis des décennies. Notre propos n’a d’autre ambition que d’apporter l’éclairage de l’anthropologie sociale, en élargissant en quelque sorte la focale aux conflits observés dans les sociétés sans États.

Avant de se demander ce qui fait la spécificité d’une guerre civile, on ne peut esquiver la question de la définition de la guerre en général. Or sur ce point (comme sur bien d’autres en sciences sociales), aucun accord ne s’est jamais dégagé. Les différentes options sont néanmoins significatives d’un problème qui n’est pas seulement terminologique.

Certains dictionnaires définissent ainsi la guerre comme un phénomène qui, par essence, se limite aux seuls États : il ne pourrait ainsi exister de guerres qu’étatiques. Outre qu’on ne voit pas bien sur quel argument se fonde cette position, celle-ci soulève immédiatement le problème de savoir, dans ce cas, comment qualifier des actions armées homicides, se déployant parfois sur large échelle, qui ont été très fréquemment observées dans des sociétés sans État. C’est pourquoi l’immense majorité des anthropologues, confrontés au phénomène belliqueux dans le monde non-étatique, ont considéré la restriction du concept de guerre aux seuls États comme aussi arbitraire que gênante. Pour autant, la question de la définition de la guerre a continué à se poser, et ce d’autant plus que les sociétés observées par ces mêmes anthropologues se livraient à diverses formes d’affrontements homicides qui ne ressemblaient clairement pas à l’idée que l’on peut se faire d’une guerre.

Ainsi, chez les Enga de Nouvelle-Guinée, parmi divers types identifiés et nommés de combats, il en existait un particulier, le yanda andake, qui était marqué par un caractère hautement formalisé. Le clan qui en prenait l’initiative se livrait à une provocation en règle de celui qu’il entendait défier ; en cas d’acceptation, on convenait d’un jour et d’un lieu pour la rencontre. Les combats eux-mêmes obéissaient à de nombreuses restrictions. Ils s’ouvraient par des duels, qui cessaient en cas de blessure ou lorsque les munitions étaient épuisées ; les deux combattants s’embrassaient alors avant de rejoindre leurs camps respectifs. Ces duels laissaient ensuite la place à des batailles en ligne, qui s’effectuaient exclusivement à l’arc et aux flèches. Tout assaut au corps-à-corps, de même que toute manœuvre de contournement, était considéré comme déloyal et prohibé. Le nombre de victimes, eu égard au nombre des protagonistes et à la durée des combats, qui s’étalaient sur des semaines, voire des mois, restait donc très faible.

Un autre exemple emblématique est celui de la chasse aux têtes. Présente notamment dans une vaste zone de l’Asie du sud-est, cette coutume doit être distinguée de la simple « prise de têtes », commune à bien des armées du monde. Le romaniste Pierre Poucet explique parfaitement sa spécificité :

Certains peuples font [la guerre] avec une férocité particulière, qui se manifeste précisément par la décapitation des vaincus (…). Ces têtes coupées servent des objectifs divers (…). D’autres populations toutefois partent en expédition avec comme objectif principal, parfois unique d’ailleurs, de trouver des têtes à couper (…) Il s’agit pour [ces peuples] non pas de vaincre des ennemis qu’ils devraient détruire ou sur lesquels ils voudraient asseoir leur suprématie, mais – tout simplement pourrait-on dire – de se procurer les têtes, pas nécessairement nombreuses d’ailleurs, dont leur groupe a un pressant besoin pour assurer sa survie.

On ne peut donc que suivre cet auteur sur la nécessité impérative de distinguer ces deux types de contextes, et de réserver le terme de « chasse aux têtes » au second cas de figure.

Comment qualifier de telles pratiques ? L’embarras a souvent été perceptible, comme chez cet ethnologue qui écrivait à propos d’un peuple de Nouvelle-Guinée : « Le terme de guerre n’est peut-être pas le meilleur pour décrire les combats entre les Huli, mais comme je n’en connais pas de meilleur, on devra s’en contenter ». On s’en contenta donc, non sans lui adjoindre très souvent un adjectif. La littérature spécialisée fourmille ainsi de ces guerres dites « petites », « mineures », « restreintes », « régulées », « rituelles » ou « ritualisées », ce dernier qualificatif étant probablement le plus fréquent. Le problème majeur de ces dénominations, c’est que tout en donnant une information sur le caractère de ces affrontements, elles esquivent la question de savoir s’ils relèvent effectivement de la catégorie de la guerre ou non.

C’est à propos d’une pratique presque universelle dans les sociétés non étatiques, et que les États ont souvent eu toutes les peines du monde à éradiquer, que le problème s’est posé avec le plus d’acuité : l’homicide de compensation, qui intervient entre deux groupes (familles, groupes formels de parenté, groupes de résidence). Dans toute société non étatique, en effet, se faire justice soi-même est non seulement une possibilité légitime, mais aussi un devoir moral et social. Dans ces conditions, un meurtre, réel ou supposé, donne volontiers lieu à des représailles sur le mode de la loi du talion : « œil pour œil, dent pour dent ». Le groupe victime de la vengeance en reconnaît parfois la légitimité, désavouant ainsi le meurtrier initial. Dans ce cas, les choses en restent là : les deux parties sont quittes et peuvent renouer des relations apaisées. Il arrive cependant que la vengeance soit considérée comme illégitime par la partie qui la subit, soit qu’elle nie avoir commis le premier assassinat (qui a fort bien pu être attribué à un acte de sorcellerie), soit qu’elle estime que son auteur l’avait perpétré dans son bon droit. La réplique peut ainsi donner lieu à une réplique en retour : s’enclenche alors une chaîne de vengeances, chaque groupe estimant tour à tour que les comptes ont été soldés, ou qu’il doit prendre une vie à l’autre afin de les équilibrer. Une telle chaîne de vengeances, qui dans certains cas peut perdurer sur plusieurs générations et finir par exterminer un des groupes concernés, porte différents noms : dans l’espace italique, c’est la vendetta ; dans la France médiévale, la faide. En anthropologie, la littérature anglophone a consacré le terme de feud.

Si la plupart des chercheurs s’accorde sur le fait que le feud et la guerre proprement dite constituent deux phénomènes différents, trouver quel critère permet de les distinguer a depuis longtemps constitué un sujet de débats. Tous deux sont en effet des états d’hostilité entre groupes, qui se traduisent par des actes homicides. La solution généralement admise – et qui nous ramène par une voie inattendue aux problèmes soulevés par la guerre civile – a consisté à rechercher ce critère du côté de la nature des groupes impliqués. On lit donc que la guerre oppose des unités sociales dites « politiques », tandis que le feud oppose des unités sociales non politiques. Bien qu’elle soit largement admise, cette solution pose en fait nombre de problèmes, ainsi que l’a relevé Bruno Boulestin dans un texte remarquable.

Le premier, et le plus évident, est qu’en définissant la guerre par le caractère politique de l’unité sociale qui la mène, on déplace le problème bien davantage qu’on ne le résout : il faut en effet savoir comment on définit cette « unité politiques » – dont l’État ne constitue qu’un cas particulier. En fait, on peut suggérer que cette définition a été bien davantage tenue pour acquise qu’elle n’a réellement été proposée. Un auteur soucieux de rigueur tel que Jean Baechler, qui lui préfère le terme plus recherché de « politie », qualifie ainsi un « ensemble ordonné à la justice », doté de procédures pacifiant les conflits entre les éléments qui le composent, réprimant les transgressions. Toutefois, si de tels ensembles sont en principe aisément identifiables lorsqu’il s’agit d’États, ils deviennent beaucoup plus flous dès lors que ces États sont absents, un problème qui a plusieurs fois été identifié en ethnologie.

En mettant même ce point de côté, une telle définition de la guerre et du feud s’avère problématique à au moins deux autres titres. Le premier, déjà relevé par Boulestin, est que l’idée même de guerre civile tend alors à devenir une contradiction dans les termes : le fait même qu’un État se trouve confronté à une opposition armée durable et qui menace son existence fait qu’il n’est alors plus vraiment un État, et donc une organisation politique. Quant à cette opposition, si elle peut elle aussi constituer un État en devenir, elle n’en est pas vraiment un non plus. Bien sûr, on peut se sortir de cette situation inconfortable en disant qu’il est par essence impossible d’appréhender une réalité mouvante avec des catégories fixes, et que ce type de situation transitoire est le lot de de toute démarche classificatoire. Reste tout de même à savoir si, en l’occurrence, la classification employée est bien la meilleure possible.

C’est en effet le second point, rédhibitoire à nos yeux : en disant que la guerre est menée par des unités politiques tandis que le feud l’est par des unités non politiques, on énonce éventuellement une loi sociale, mais on ne donne en réalité aucune information sur ce qui différencie la nature de la guerre de celle du feud. D’une manière générale, on ne peut d’ailleurs jamais définir un objet, une coutume ou institution en se contentant d’énoncer à quel acteur social ils sont liés. Rien n’exclut à ce compte la possibilité que la guerre et le feud constitue en réalité une seule et même chose, dont seul le nom change en fonction du contexte social qui les conduit, tout comme le salaire d’un employé prend l’appellation de « gages » lorsqu’il s’agit d’un domestique, sans que sa nature économique en soit moindrement modifiée. En d’autres termes, se demander qui fait quelque chose et se demander quelle est celle chose sont deux questions radicalement différentes.

Ayant ainsi montré que pour définir la guerre et le feud, la nature sociale des acteurs était une voie sans issue, Boulestin a proposé une solution aussi simple qu’opératoire, consistant à chercher la réponse du côté des objectifs poursuivis par les protagonistes. On a remarqué de longue date que l’objectif d’une guerre, étatique ou non, était d’établir sa supériorité, ou sa suprématie, sur l’adversaire, afin de lui imposer ses conditions. Dans un feud, les camps en présence ne cherchent pas à vaincre l’autre, mais simplement à équilibrer les comptes – c’est le désaccord sur l’état de ces comptes qui fait perdurer la chaîne de vengeance.

La guerre et le feud fournissent également les clés d’une compréhension plus générale des confrontations humaines. Ces deux états d’hostilités engendrent en effet des combats qui possèdent deux caractéristiques. Pour commencer, tous deux visent à aplanir un différent, autrement dit à obtenir (ou à imposer !) la paix, ce que l’on peut exprimer en disant qu’ils sont résolutifs. La seconde, c’est que dans le cadre de ces états d’hostilité, les combats se déroulent dans une totale liberté. On peut frapper l’adversaire à tout moment, sans se plier à des conventions qui nécessitent son accord et en utilisant la surprise. On proposera de parler à ce propos de confrontations « discrétionnaires ». Ces constatations ouvrent la possibilité d’identifier dans les sociétés humaines des confrontations qui ne soient pas résolutives, pas discrétionnaires, voire qui ne soient ni l’un ni l’autre. Ainsi, et pour ne parler que des exemples évoqués plus haut, la chasse aux têtes n’est pas résolutive : elle n’a nullement pour objectif de rétablir la paix ; quant aux yanda andake des Enga, en plus de ne pas être résolutifs, ils ne sont pas non plus discrétionnaires : chaque adversaire respecte des formes et des règles communes, et ce n’est pas pour rien qu’un des ethnologues qui les a décrits les a qualifiés de « tournois ».

Conclusion

Ce n’est pas ici le lieu d’explorer en détail les diverses formes de confrontations observées dans les sociétés humaines. Cette brève esquisse fournit néanmoins deux leçons susceptibles d’éclairer l’épais dossier de la guerre civile. La première rappelle que la guerre est très loin de représenter l’unique forme des conflits collectifs homicides, et que l’analyse a tout à gagner à adopter le point de vue comparatif le plus large qui soit. La seconde, évoquée à propos de la guerre et du feud, est qu’en définissant un phénomène uniquement par la nature des acteurs qu’il met en jeu, on reste sur un terrain purement terminologique et on n’énonce rien de ses propriétés. Dire qu’une guerre est civile lorsqu’elle implique un protagoniste non étatique constitue donc tout au plus un préambule terminologique à une définition plus substantielle, qui parviendrait à énoncer les spécificités de la guerre civile par rapport aux autres types de guerre.

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