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Un combat... contre le vocabulaire

Celles et ceux qui ont suivi mes tentatives (de plus en plus avancées) de procéder à une classification des confrontations physiques humaines savent que l’un des deux critères fondamentaux que je retiens consiste à savoir si elles procèdent de la seule volonté de l’une des deux parties, ou si elles résultent d’un commun accord. Typiquement, on trouve d’un côté la guerre (stricto sensu), mais aussi la vendetta ou la razzia, et de l’autre différentes formes de duels collectifs.

Autant l’idée ne m’a pas paru très difficile à formuler, autant je bute depuis le début sur les termes de vocabulaire qui la désigneraient au mieux. Dans un premier temps, j’étais parti sur le couple « asymétrique / symétrique ». J’étais assez satisfait de ce choix... jusqu’au jour où on m’a fait remarquer à juste titre que ces termes étaient déjà utilisés à propos de la guerre, et pour dire tout autre chose. J’ai donc changé mon propulseur d’épaule et, faute de mieux, j’en étais venu à parler de confrontations « unilatérales » versus « bilatérales ». Ce choix n’était pas idéal, ne serait-ce que parce qu’il pouvait laisser entendre que s’il existait des situations où l’on se battait à deux, il en était d’autres où l’on se battait seul. Ce n’est évidemment pas cela que je voulais dire : ce qui est unilatéral ou bilatéral, ce n’est pas le combat lui-même, mais la décision de se battre. Mais même là, il reste encore une ambiguité. Deux adversaires peuvent être d'accord pour se battre sans qu’il s'agisse pour autant d’une confrontation bilatérale : encore faut-il pour cela qu’ils se mettent d'accord sur les modalités du combat. Est donc « bilatérale » une confrontation conditionnée par l’accord des deux parties sur son déroulement.

J’en étais resté là, et avais commencé à utiliser assez abondamment ce couple de termes, lorsqu’en bouquinant sur un épisode de la guerre de succession de Bretagne connu sous le nom de combat des Trente, je tombe à l’instant sur les travaux d’un collègue médiéviste (Steven Muhlberger pour ne pas le nommer) qui en parle comme d’un combat formel – « dans la mesure où le moment, le lieu, les effectifs et la spécification des conditions de la victoire sont arrangés par avance et mutuellement acceptés ».

Combats formels versus combats informels : comment n’y ai-je pas pensé plus tôt ?

27 commentaires:

  1. Salut Christophe,
    Dans son article "The social types of war", Hans Speier établit une dichotomie similaire entre la guerre absolue et la guerre agonistique, avec tout un gradient entre les deux : "The extreme opposite of absolute war is the fight waged under conditions of studied equality and under strict observance of rules. Measured in terms of destruction such a fight is highly inefficient and ludicrously ceremonious." C'est pas hyper fouillé mais l'idée est fondamentalement la même. Dans son History of Warfare, John Keegan construit une réflexion du même type autour du binôme limited / unlimited warfare.

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    1. Hello Maxime
      Oui, pas mal d'auteur ont senti qu'il y avait quelque chose qui se jouait autour de cela. Une erreur qu'ils ont souvent commise est d'assimiler le combat formalisé à un combat où la violence est (très) restreinte. C'est certes souvent le cas, mais pas toujours : et parfois, les combats formalisés sont open bar, on peut tuer tant qu'on veut - c'était le cas du gaingar en Australie, c'est aussi le cas du Combat des Trente sur lequel écrit Muhlberger.

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  2. Salut, j'espère que tu vas bien. Pq ne pas le dériver de l'étymon de volition i.e. bi-, uni-, monovolitale ? En réservant le lexême adjectif "volitif" pour signifier ce qui est propre à la volition/l'acte de volonté...
    Ma proposition provient volontairement de ta définition en 1er § ; moi je "compats" le voulabulaire !

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    1. Proposition habile et érudite... mais le mieux est parfois l'ennemi du bien. Le terme de "formel" (ou "formalisé") fera moins peur au lecteur, et il fait tout de même bien le job. Merci en tout cas pour cette suggestion !

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    2. Salut ! C là un dicton qui me semble sophistique ; quant à l'argument de la peur, laquelle serait-ce là ? Volontiers. Bonne soirée :)

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    3. « Monovolital, c'est quand même brutal » (proverbe traditionnel bourbonnais)

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    4. En quoi donc ? Si monovolital est brutal, alors l'anthropologie est barbare...! (tradition préverbale)

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    5. anthropologie* est (...)

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  3. Le vocabulaire du formel et de l'informel ne me semble pas exempt de défauts :
    1) je ne le trouve pas explicite, et au contraire assez obscur : qqn qui ne connaîtrait pas déjà la distinction ne pourrait se faire aucune idée, je crois, de ce que peut vouloir dire en l'occurrence *combat formel* ;
    2) n'introduit-il pas d'autres ambiguïtés ?
    a) On peut comprendre qu'un combat formel est un combat formalisé : un combat dont les modalités ont été formalisées, càd explicitées et réglées d'avance (ex : droit de la guerre, avec les conventions internationales) ; or, si cela se fait d'un commun accord, il ne me semble pas que, réciproquement, deux adversaires d'accords pour se battre (ce qu'il s'agit de nommer ici) soient nécessairement d'accord sur les modalités du combat, ni à plus forte raison les aient formalisées.
    b) On peut aussi entendre par *combat formel* un combat officialisé : b) un combat que l'on assume explicitement mener, en le disant et en adoptant des formes franches de luttes, non obliques, masquées, etc. ; or, on peut être d'accord pour se battre sans se le dire, ni mener la lutte au grand jour.

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  4. Je ne suis pas très convaincu non plus par l'option formel-informel. Ne faudrait-il pas chercher à nommer cette typologie en fonction du caractère d'agression? En effet, les combats "ritualisés" ne me semblent pas placer l'un des groupes protagonistes dans une position défensive et l'autre dans une position offensive, comme le fait une guerre, ex (?) conflit unilatéral. Si le participant à un duel, comme nous les connaissions jusqu'au XIXème au moins dans nos pays, peut se sentir offensé, et se sent manifestement offensé, il ne se sent pas "agressé" au cours de la procédure. Comme un dans un combat de gladiateurs, au moins jusqu'au Ier siècle, il y a dans le duel, ou le conflit "ritualisé", une composante agonistique qui met à l'abri du sentiment d'agression les deux parties. Dans une autre direction de la quête des plus justes termes, se conformer à des règles réciproques d'engagement, c'est accepter de ne pas recourir à tous les moyens pour gagner; par exemple transformer l'affrontement prévu en embuscade. On retombe ici sur quelque chose de plus proche de "limité" (bien que ce terme ne dévoile rien de l'accord préalable et de son absolu respect).

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  5. Combat imposé ou forcé, par opposition à combat consenti ou accepté ?

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  6. On ne trouvera pas de solution idéale, parce que ce qu'on cherche à exprimer ne correspond à aucun terme. Donc, c'est soit une périphrase, soit un acronyme, soit un mot plus ou moins adapté et dont il faut soigneusement dire quel sens on lui donne.
    Une bataille ne place pas nécessairement un des deux camps en position d'agressé. Il y a des guerres où les deux camps veulent en découdre, et où la surprise ne joue de fait aucun rôle. Et "limité" versus "non limité", c'est encore pire, parce que justement, je pense que c'est un critère triop souvent utilisé, et que ce n'est pas le bon. Il y a des situations où l'on ne se met pas d'accord par avance, mais où les circonstances poussent les deux camps à limiter leur violence, et d'autres où on se met d'accord par avance pour déployer toute la violence possible, y compris par ruse. Donc la limitation de la violence, c'est tout au plus un (mauvais) indicateur de ce que je cherche à cerner, mais ce n'est pas le cœur de l'affaire, à savoir (je le répète) : le fait que les deux parties soient d'accord non seulement pour se battre, mais sur les modalités du combat et ce qui décidera de son issue.

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    1. Combat concerté vs. non-concerté ?

      Ou bien, si tu veux éviter tout malentendu terminologique : combat de type A vs. type B :-)

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    2. Concerté, c'est pas mal en effet. Il faudra que j'y réfléchisse (dans le même genre, il y a « régulé », mais ce n'est pas parfait non plus). Après évidemment, il y a les solutions du style type A/B, I/II, etc. mais là, on arrive vite sur des situations où seuls les initiés comprennent quelque chose, et où ces trucs se surajoutent les uns aux autres (Testart a eu le problème avec ses mondes, ses types de chasseurs-cueilleurs et ses catégories de prestations matrimoniales). En fait, il faudrait pourvoir créer des mots qui deviennent des concepts reconnus et partagés, mais c'est beaucoup plus facile en sciences naturelles qu'en sciences sociales.

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    3. Je suis celui qui a "anonymement" parlé de la dimension agressive du conflit, ou de son absence, plus haut. "Concerté" me parait un assez bon choix. On peut aussi penser au champ lexical de l'accord, et parler d'un conflit "accordé" (à condition qu'il soit évident que le sens n'est pas celui de "concédé"). En jetant un oeil sur les liens de proxémie de "concerter" avec d'autres verbes ( https://www.cnrtl.fr/proxemie/concert%C3%A9 ), je relève aussi adapter, agencer ou arranger. Mais il y a aussi coordonné qui marque assez bien la communauté de règles par chacun admises.

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    4. Concerté, j'avoue que c'est pas mal du tout. Il y a du remerciement officiel dans l'air. ;-)

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    5. ...et dans le même esprit, il y a « arrangé », pas très élégant à l'oreille, mais plus près au niveau du sens.

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    6. Il y a aussi "conventionnel / non conventionnel", mais qui a le gros défaut d'être déjà utilisé dans ce type de contexte avec un sens assez différent. Pourtant c'est bien ça l'idée : qui a fait l'objet, ou non, d'une convention préalable entre les parties…

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    7. C'est exactement cela l'idée, et c'est cela l'objection qui me retient depuis le début d'adopter cette solution...

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  7. Et, en variant sur formel/informel, combat formalisé/non formalisé ou formalisé/informalisé (si on n'a pas peur du néologisme) ? en précisant bien que « formalisé » a pleinement valeur de participe passé, renvoyant vraiment à une formalisation advenue dans le passé. Et on évite les connotations de combat ritualisé ou limité.

    Il me semble qu'on peut aussi partir de « réglé » : l'expression « combat réglé » me semble déjà acceptée pour parler d'un combat dans un sport codifié, et l'extension que tu lui donnerais me paraît ne pas trop s'éloigner de ce sens. Peut-être que par contre on peut préférer « non réglé » à « déréglé », qui évoque peut-être plus la transgression de règles fixées plutôt que l'absence de règles fixées.

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    1. Oui, j'avais d'ailleurs parlé de batailles « régulées » pour l'Australie – régulées ou réglées, c'est en fait la même chose. Bon, on voit bien l'idée, il y a pas mal de solutions mais aucune n'est idéale, je me déciderai un de ces jours... (et au passage, formalisé a le tort de rappeler un peu trop « ritualisé », mot contre lequel je rompts quelques lances barbelées...)

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  8. "Contractuel / non-contractuel" ? "Imposé / consensuel" ?

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    1. Aux dernières nouvelles, le couple favori serait « par convention / libre »

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  9. Je ne sais pas s'il reste encore des survivants qui suivent cette saga, mais après des heures de contorsions cérébrales et la mobilisation de divers outils de synonymes et d'AI, je viens d'avoir l'idée du néologisme « conventionnaire ». Ce n'est peut-être pas le plus joli à l'oreille, mais cela possède l'avantage de graviter autour de l'idée centrale (en insistant sur le fait que l'accord porte non seulement sur les modalités du combat, mais aussi sur son issue, sur laquelle il n'y aura pas à revenir), tout en évitant les ambiguités liées à des termes déjà existants. Des avis ?

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    1. En consultant le CNRTL (entrée « -aire »), on peut le rapprocher de règlement>réglementaire et statut>statutaire. Alors pourquoi pas ! Un autre suffixe signifiant « conforme à » en français (enfin, plutôt, une autre forme du même suffixe latin -arius) est -ier, qui donne règle>régulier, coutume>coutumier, droiture>droiturier, mais à ma connaissance il n'a jamais donné convent>conventier ou convention>conventionnier, même en ancien français où il était plus productif (on pouvait alors dire nature>naturier pour « conforme à la nature ; pur, franc, sans mélange », verté>verteier « conforme à la vérité, sincère », gorre>gorrier pour « qui suit la mode, élégant », etc.) : dommage...

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    2. ...et au rang des glorieuses références (à laquelle je n'ai pensé qu'après-coup), la propriété « fundiaire » d'Alain Testart (qui voulait la distinguer de la propriété « foncière », dont elle n'est qu'un sous-type particulier).

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