Le paradoxe territorial
Pour terminer l'année en beauté – ou plutôt, pour attaquer 2024 sur les chapeaux de roues –, je livre aux lecteurs de ce blog une question qui me tarabuste un peu, et dont la solution aiderait, je crois, à lever un certain nombre de quiproquos à propos des origines de la guerre. Pour faire simple, on trouve globalement deux versions. Dans la première, l'espèce humaine, comme une bonne partie des espèces animales, est territoriale ; elle lutte donc pour conserver ou pour acquérir cette ressource, et s'agissant d'une espèce particulièrement sociale, elle mène cette lutte d'une manière collective. Selon cette version, la guerre, en particulier, celle menée pour l'appropriation des territoires, serait donc aussi vieille que l'humanité elle-même. L'autre discours défend au contraire l'idée que la guerre, en tout cas au sujet des territoires, semble inconnue dans les formes sociales les plus anciennes, et ne fait son apparition qu'avec l'agriculture ou la sédentarité.
1. Le cas de l'Australie aborigène
A l'appui de la seconde thèse, on peut citer de nombreux faits tirés de l'ethnologie. Lors de mon travail sur l'Australie précoloniale, j'ai pu relever à quel point le nombre de conflits pour lesquels cette cause était alléguée était faible. Plus encore, les anthropologues ont été unanimes pour affirmer que les Aborigènes avaient édifié un système de croyances qui les dissuadaient de s'emparer d'un territoire étranger. Dans mon livre, je rapportais ce passage de L. Warner :
Aucune terre ne peut être prise à un clan par un acte de guerre. Un clan ne possède pas sa terre de par la force des armes, mais de par une tradition immémoriale et une partie intégrante de la culture […]. Jamais un groupe victorieux n’annexerait le territoire d’un autre, même si sa population masculine était entièrement détruite et les épouses et les enfants des morts pris par les vainqueurs. (Warner 1969 [1939] : 18-19).
Cette opinion n'est pas isolée, et de telles observations abondent. W. Stanner écrivait ainsi :
Les Noirs ne se battent pas pour la terre. Il n'y a pas de guerres ou d'invasions pour s'emparer d'un territoire... (1979 [1953]: 40)
Même écho du côté d'A. Radcliffe-Brown :
La pérennité de la horde est assurée par celle de la possession du territoire, qui reste inchangée, sans possibilité de division ou d'accroissement, car les aborigènes australiens n'ont aucune notion de la possibilité de conquérir un territoire par la force armée... (1952 [1935]: 34)
Quant à B. Spencer, il insistait sur les déterminants religieux de cette attitude :
Depuis des temps immémoriaux – c'est-à-dire aussi loin que remontent les traditions aborigènes – les frontières des tribus ont été fixées là où elles passent aujourd'hui... Il n'y a jamais eu apparemment la moindre tentative de la part d'une tribu d'empiéter sur le territoire d'une autre. De temps à autre, il peut y avoir des querelles et des combats intertribaux, mais il n'y a jamais eu d'acquisition de nouveaux territoires. Cette idée, qu'elle apparaisse souhaitable ou non, n'effleure jamais l'esprit des indigènes d'Australie centrale. Cela est très probablement lié à la croyance fondamentale que ses ancêtres alcheringa [du temps du rêve] occupaient exactement la même région que lui aujourd'hui. Les composantes spirituelles de ces ancêtres sont toujours là, et il éprouve le sentiment diffus non seulement que le territoire lui revient indubitablement par droit d'héritage, mais qu'il ne serait utile à personne d'autre, et que le territoire d'un autre peuple ne lui conviendrait pas non plus. Les esprits ne quitteraient pas définitivement leur ancienne demeure, et là où ils sont, ils doivent rester. (1904 : 13-14)
Le même auteur répétait par ailleurs :
Il semble ne jamais y avoir de tentative d'annexer de nouvelles terres ou d'empièter sur celles d'autres tribus ou groupes. Cela est dû à la croyance très ferme des indigènes qu'ils sont les descendants directs ou les réincarnations d'ancêtres anciens, qui étaient particulièrement associés à certains lieux locaux où leurs éléments spirituels demeuraient lorsqu'ils mouraient et que leurs corps s'enfonçaient dans la terre. (1912-1 : 198)
On trouve un constat et une explication similaires chez D. Davidson :
Il n'y a pas de chef de tribu ni même de conseil tribal, de sorte que chaque horde conserve une totale autonomie politique. Il n'existe pas non plus d'alliances défensives ou offensives entre les différentes hordes. Si les Australiens avaient un sens politique, cette situation offrirait manifestement des opportunités illimitées aux individus ambitieux intéressés par la conquête militaire et le gain territorial. Cependant, (...) toute la philosophie des aborigènes milite contre de telles possibilités. Pour des raisons religieuses, chaque individu, du moins dans une grande partie du continent, se sent attaché à la terre où il est né, d'où son esprit a émané à un certain endroit sacré et où il retournera au moment de sa mort. Pour les indigènes imprégnés de cette philosophie, les terres situées dans d'autres localités, où il y aurait un nombre normal d'êtres humains dont les âmes sont associées aux demeures sacrées des esprits locaux, seraient tout à fait inutiles à ceux qui n'ont pas de liens spirituels avec elles. À cet égard, il est important de noter qu'il y a rarement eu d'exode massif d'aborigènes des terres appropriées par les Blancs. (1938 : 664-665)
Bien sûr, tout cela n'a jamais empêché les populations australiennes de migrer, d'en chasser d'autres et finalement, de s'installer sur leurs terres. Mais, et c'est le point central de la discussion, les éléments qui précèdent incitent fortement à penser que ces mouvements étaient le résultat involontaire de conflits qui avaient d'autres motifs.
2. Et ailleurs...
Il n'y a aucune raison de penser que les Aborigènes ont pu consistuer une exception. Bien des observations menées chez d'autres peuples (dont certains cultivateurs) donnent une impression similaire. Je ne peux évidemment pas faire un tour du monde sur ce point : il faudrait avoir constitué une base de données bien plus complète que celle dont je dispose. Mais plusieurs cas montrent sans ambiguité que l'attitude australienne était peu ou prou partagée par bien des peuples.
Ainsi que je le relevais dans un précédent travail, les Inuits de l'Alaska – des chasseurs-cueilleurs pourtant stockeurs et largement sédentaires –, se battaient pour d'autres raisons que la conquête territoriale. C'est ce qu'écrit Burch à propos des Iñupiat :
Les causes ultimes de la guerre peuvent avoir été la pression extérieure, l'économie, l'acquisition de terres et l’inimitié ethnique ou une combinaison de ces facteurs, mais au début du XIXe siècle, la plupart des manifestations d’hostilité internationale [entre « nations » iñupiat] étaient probablement de purs actes de vengeance. (2005 : 66)
C'est aussi ce qu'écrit A. Fienup-Riordan à propos des Yup'ik :
L’organisation d’une expédition de guerre n’avait pas pour objectif d’acquérir du butin, d’étendre un territoire ou de défendre des frontières, mais d’exterminer l’ennemi. (1994 : 329)
Les célèbres Jivaros de l'Equateur, eux aussi, se caractérisent par des croyances très dissuasives quant à la conquête territoriale :
Bien que les guerres des Indiens Jivaro ne soient par nature rien d'autre que des guerres de vengeance, elles ne visent jamais à des conquêtes territoriales. Les Jivaros, au contraire, craignent et détestent le pays de leurs ennemis, où des dangers surnaturels secrets peuvent les menacer même après qu'ils ont conquis leurs ennemis naturels. Les chamanes de la tribu hostile peuvent avoir laissé leurs flèches de sorcellerie partout, sur la route, dans la forêt, dans les maisons, de sorte que les envahisseurs peuvent en être frappés au moment où ils s'y attendent le moins. On abandonne donc le territoire de l'ennemi dès que possible. Par ailleurs, les Jivaros, qui habitent d'interminables forêts vierges où ils peuvent s'installer presque partout, n'ont pas besoin de conquérir le territoire d'autres tribus." (Karsten 1923 : 16)
Terminons ce bref tour d'horizon par les Jalé des hautes terres de Nouvelle-Guinée, dont on lit que :
Aucune de leurs guerres n'a pour objectif des gains territoriaux ou l'appropriation des ressources (Koch 1970 : 42)
Précisons que si ce cas de figure semble fréquent, il n'est pas universel, au moins chez les cultivateurs. En Nouvelle-Guinée, par exemple, bien des ethnographies menées chez d'autres peuples identifient la terre comme un objet de conflits, y compris dans des sociétés où la richesse est peu développée, comme chez les Baruya.
3. Le paradoxe
Sans que je puisse le démontrer, j'ai le net sentiment que lorsque la documentation est disponible, elle exprime peu ou prou la même chose chez tous les chasseurs-cueilleurs mobiles et chez une bonne partie des petits cultivateurs : il n'y a pas de guerres à des fins de conquête territoriale. Pourtant, et c'est ce qui fonde le paradoxe annoncé dans le titre de ce billet, la documentation ethnologique est unanime sur le fait que ces sociétés, comme toutes les autres sociétés humaines, sont territorialisées, et qu'elles défendent ce territoire contre les intrusions. Les témoignages abondent, y compris pour les cas citées plus haut, sur le fait que tout individu s'étant aventuré sans autorisation préalable sur le domaine d'un groupe étranger était au mieux suspect, au pire considéré directement comme une cible. Cette attitude, semble-t-il universelle, apporte donc de l'eau au moulin de la première thèse que j'évoquais au début de ce billet, celle qui énonce que de tout temps, on s'est battu au sujet des ressources en général, et des territoires en particulier.
Voilà donc une situation singulière : des territoires que l'on défend vigoureusement, mais que l'on n'attaque pas ; sur lesquels on braconne à l'occasion, mais dont on ne cherche pas à s'emparer collectivement. Comment rendre compte de cet état de fait ? Je vois une ou deux pistes se dessiner, mais avant de les explorer plus avant, je glisserai une remarque en guise de fin provisoire : ce que l'on dit des territoires n'est-il pas également vrai des femmes ? Dans les données australiennes et, selon toute vraisemblance, dans les autres, on est tout aussi frappé de constater que les femmes font l'objets de vifs conflits entre individus. Ces conflits peuvent parfois cristalliser des communautés entières (un fameux exemple romancé en est fourni par L'Iliade) ; mais, étonnamment, on ne voit jamais (en tout cas à ma connaissance) de guerres authentiques menées à une large échelle collective, dans le but principal de s'approprier les femmes. Partout semblent s'appliquer les mots que N. Chagnon écrivait à propos des Yanomamö : même si la capture des femmes « constitue toujours un sous-produit désiré » des expéditions militaires, « peu de raids sont lancés dans [ce] seul but » (175).
À suivre...
bonjour,
RépondreSupprimermais que faites vous des guerres puniques ? de l'extension de l'empire romain ?
Les guerres puniques ou l'expansion de l'Empire Romain n'ont rien à voir avec des chasseurs-cueilleurs ou même avec des petits cultivateurs. On parle d'un civilisation de sédentaires regroupant plusieurs peuples et ayant une économie faisant appel à plusieurs ressources limitées à son échelle, que cet article n'a pas pour revendication de traiter.
SupprimerOui, il y a une vraie incompréhension sur mon propos. Je ne nie pas que certaines sociétés fassent la guerre pour conquérir des territoires (il faudrait être un peu niais !). La question est de comprendre ce qui se passe dans celles qui ne le font pas... mais qui toutes, défendent néanmoins le leur.
SupprimerTrès intéressant ! Je pensais qu'il n'y avait simplement pas de véritable territoire chez les chasseurs-cueilleurs jusque là, mais plutôt un endroit où l'on vit, que l'on connaît et que l'on exploite, mais sur lequel on n'exerce aucun véritable contrôle et qui peut même être exploité constamment par plusieurs communautés voisines.
RépondreSupprimerMais si je comprends bien, c'est plus subtil ; il n'y a pas de réelle possibilité de contrôle, ou plutôt seulement un contrôle opportuniste dû aux groupes d'activités quotidiennes qui vont tomber sur des intrus, mais il y a bien une notion de territoire plus ou moins étendu et revendiqué.
Oui, contrairement à ce qu'on lit parfois, le nomadisme n'est pas du tout incompatible avec la territorialité : on nomadise sur un territoire bien défini (hormis peut-être certaines régions particulièrement désertiques, ou c'est un peu plus fluide) et toutes les ethnographies s'accordent sur le fait que toute pénétration étrangère non annoncée sur le territoire est passible de mort immédiate.
SupprimerD'accord ! Mais du coup je me demandes quelles implications ça a. Y-a-t-il quand même des sites d'exploitation pouvant être mis en commun entre plusieurs communautés ? Si oui, est-ce qu'il s'agit de braconnage plus ou moins consenti à cause d'une difficulté à contrôler strictement le territoire ("au pire, si on prend de la chaille sur leur site, pas vu pas pris"), d'accords préalables, ou de "zones tampons" qui ne sont considérées par personne comme étant des territoires ?
SupprimerEt y a-t-il, dans le cas des aborigènes typiquement, des gens qui évoluent hors du cadre communautaire (des colporteurs par exemples) ? Risquent-ils d'être tués à la moindre tentative d'entrer sur un territoire, ou bien sont-ils épargnés ?
Difficile de donner une réponse générale à tout cela. Pour l'Australie, que je connais un peu mieux, il y a clairement des moments de mise en commun, avec des ressources saisonnières abondantes que l'on met à profit pour inviter d'autres groupes et procéder à de vastes rassemblements sociaux (initiations des jeunes gens, cérémonies religieuses parfois très longues). En revanche, les ethnographies sont claires : tout braconnage individuel est passible d'une mise à mort, et tout braconnage collectif est considéré comme une déclaration de guerre - c'est d'ailleurs cela qui rend parfois l'interprétation difficile : ne braconne-t-on pas dans l'idée de déclencher les hostilités ?
SupprimerPour ce qui est des ressources localisées, on partait parfois dans de lointaines expéditions d'approvisionnement, mais l'essentiel circulait me semble-t-il par des échanges inter-tribaux de proche en proche (et parfois, sur des distances considérables).
Enfin, il n'existait pas de commerçants professionnels, mais certains individus se déplaçaient beaucoup entre groupes : les messagers / hérauts / ambassadeurs, qui étaient d'authentiques spécialistes (il fallait posséder des qualités peu communes) dont je traite assez en détail dans mon bouquin.
On peut éventuellement en conclure que les chasseurs-cueilleurs étaient profondément attachés à leur territoire par les liens « religieux », et qu’ils ne changeaient de territoire (et donc qu’ils n’allaient à une éventuelle conquête guerrière d’un autre territoire) que sous la pression de besoins impossibles à satisfaire dans l’ancien territoire (modification de l’écosystème, migration animale, etc.). Le système idéologique est alors battu en brêche par un impératif matériel…
RépondreSupprimerOui, il peut y avoir de cela. Reste à le concilier avec le fait que cette nécessité devait être suffisamment rare pour avoir engendré ce système idéologique. Et encore une fois, pourquoi mettait-on un soin si attentif à se défendre contre les empiètements territoriaux si ceux-ci étaient rarissimes ?
SupprimerPeut être que pour les sociétés chasseur cueilleur le territoire occupé est une surface qui se trouve être un optimum entre la population et la surface de terrain à parcourir pour trouver tout ses besoins. Comme ces sociétés dépendent plus ou moins de la capacité "naturelle" de leur environnement à produire tout leurs besoin, puisqu'il n'y a pas de stockage ni d'optimisation de la surface par l'élevage ou l'agriculture, alors j'imagine que leur population se trouve plus ou moins régulée en fonction de cette production. Un plus grand territoire signifie plus de surface à couvrir donc une population en conséquence, or pour l'accroissement de sa population, il faudrait déjà que le territoire initiale permette de dégager un surplus de denrée qui ne correspond pas à ce mode de vie de chasseur cueilleur. D'où la croyance, finalement plus ou moins vérifiée, que chaque territoire correspond bien à l'ethnie qui le peuple et est adaptée à son mode de vie.
RépondreSupprimerJe suis assez sensible à cet argument. Je crois aussi qu'en l'absence d'agriculture, les groupes humains n'ont ni les moyens d'aller peupler un autre territoire en plus du leur, ni ceux de le contrôler. Cela dit, reste à expliquer d'une part pourquoi on doit néanmoins défendre les territoires contyre des empiètements (et du coup, pourquoi on empiète !) et pourquoi on voit si peu de situations où un groupe en dégagerait purement et simplement un autre pour prendre sa place, jugée meilleure.
SupprimerPeut-être qu'un territoire doit être défendu, non pas spécialement (seulement?) pour protéger des ressources, mais parce ce que ce territoire est celui des ancêtres de ceux qui y vivent. Il doit y avoir un caractère sacré à risquer morts et blessés pour "juste un peu de nourriture". Il se peut que cela soit compris comme le signe d'un déséquilibre à venir, une sorte de mauvais présage. Mais maintenant voilà venir C.D. le décalage de l'interrogation que vous mentionnez: pourquoi un territoire est-il pénétré par un autre groupe? Erreur (j'en doute), ignorance, nécessité, provocation, prémisses à des échanges (biens et/ou femmes), soit une manière de poser la discussion ? Pour la dernière raison nommée il faudrait bien sur pouvoir avoir accès à des données "post-conflit".
SupprimerJ'ajoute que les intrusions dans un autre territoire que le sien peuvent être aussi le fait de jeunes individus en recherche de preuve de courage (ce qui peut se rapprocher de la provocation) ou pour suivre un gibier "natif", appartenant au premier territoire, et qui est passé de l'"autre côté".
SupprimerMerci pour votre réponse. J'imagine cependant que les frontières pour ce type de société sont plus ou moins dynamique. Non pas qu'il n'y ait pas de territorialité forte mais que le marquage de la frontière n'est pas tracé sur une carte. On peut donc imaginer des "frottements" incessant aux frontières de différents groupes qui les partagent. Pour jauger la "santé" du groupe potentiellement rival, à savoir si il constitue une menace ou au contraire si une intrusion opportuniste sur son territoire peut se faire sans craindre de représailles. On peut comprendre les empiètements pour ces raisons, mais pour ce qui est de chasser totalement un groupe il faudrait non seulement qu'ils n'y aient plus du tout de ressources dans le territoire qu'on occupe déjà, mais aussi que le groupe qui occupe un meilleur territoire soit assez faible pour être totalement chassé. J'imagine que dans des sociétés sans forme étatique il ne suffit pas d' annexer mais il faut complètement mater une population qui est presque souvent toute entière en arme, ce qui est très coûteux, surtout si on pense que ce qui a motivé cela est une perte de ressources. J'ai fais beaucoup de supposition et j'espère ne pas avoir dit trop de bêtises ^^
SupprimerJe pensais au stockage justement, l'accumulation qu'il permet étant accrue par la conquête et l'exploitation de nouveaux territoires.
SupprimerDes cas de cueilleurs-chasseurs stockeurs qui pratiquent l'expansion territoriale ?
(M'enfin, ça n'expliquerait, éventullement, qu'un des deux termes de ton équation ; il est vrai qu'en bon nostalgique de la totalité tu as grand besoin d'une formule expliquant tout !)
SupprimerPhilippe C., sors immédiatement de ce corps.
SupprimerEst-ce que le paradoxe ne pourrai pas être dû au mode de transmission des savoirs qui m'a l'air d'être un mode religieux (au sens large) et qui donc objective pas. Par exemple telle plante à tel endroit est comestible, mais la même plante à un autre endroit risque de ne pas l'être.
RépondreSupprimerDonc les ressources du territoire d'à côté ne sont pas consommable
Ce que j'ai écrit n'est pas très clair, je reformule mon exemple :
SupprimerPar exemple telle plante à tel endroit est réputée, de part le tradition, comestible, mais un autre plant de la même essence à un autre endroit risque de ne pas l'être.
D'une part, je ne suis pas sûr que cet argument lève le paradoxe : il ne ferait qu'en expliquer un des deux termes ; d'autre part, j'ai cité les sources qui traduisentg le propos des intéressés : personne ne formule la question en disant que les ressources animales ou végétales qui sont chez les autres ne leur conviendraient pas...
SupprimerTu opposes deux hypothèses : Selon l’une, l’espèce humaine « lutte donc pour conserver ou pour acquérir » les ressources ; la guerre « serait donc aussi vieille que l'humanité elle-même ». Selon l’autre, la guerre territoriale ne fait apparition que tardivement, « avec l’agriculture ou la sédentarité ». Il me semble que cette opposition (tranchée) est artificielle.
RépondreSupprimerUne cause importante de guerre territoriale est celle où la population du groupe devient trop importante relativement aux ressources dont dispose son territoire et où des alliances avec les groupes voisins sont impossibles. On attribue généralement à l’agriculture une croissance démographique importante – donc des guerres territoriales. C’est une des caractéristiques essentielles de la « révolution néolithique » mais on sait que cette croissance peut se produire dans des populations de chasseurs-cueilleurs. Bien des paramètres interviennent ici qui peuvent jouer dans un sens ou dans le sens contraire : l’évolution des technologies, l’évolution des conditions environnementales, la possibilité de piller d’autres groupes (sans les envahir), etc.
Mais d’autres causes peuvent avoir une influence déterminante. C’est en particulier le cas où une tribu possède une richesse (subsistances ou autres) qui suscite les envies (ou les besoins) d’une autre tribu, par exemple une rivière riche en saumons particulièrement appréciés ; je cite ce phénomène (assez banal) parce qu’il est observé chez les Nootka de l’ile de Vancouver. Mais sur la même ile (et le continent adjacent), les anthropologues affirment que leurs voisins Kwakiutl ne mènent pas ce genre de guerre. Nul déterminisme environnemental.
Bonsoir.
RépondreSupprimerPeut-être que nous interprétons comme désir de posséder (ou absence du désir d'appropriation, de conquête) ce qui ne se pose pas forcément en ces termes pour les peuples dont parle Christophe. Notre idée de la possession nous paraît naturelle, et ne l’est pas plus, ni pas moins sans doute, que d’autres conceptions. Pour vouloir « plus de » quelque chose, il faut qu’il y ait eu une opération mentale préalable implicite : la réduction d’un objet réel à une valeur quantifiable. Convoiter « plus de » territoire, cela signifie qu’implicitement un hectare vaut un hectare… ou à peu près, car bien sûr il y a des hectares plus giboyeux que d’autres. En tous cas, ça se mesure, ça se compte, et ça peut s’additionner.
Mais même dans notre monde soumis à la marchandise, l’attachement religieux (ou amoureux) à tel espace (ou telle personne) ne calcule pas comme ça. On peut être farouchement possessif à l’égard de telle femme (ou tel homme), ne pas supporter qu’un(e) voisin(e) jette les yeux sur elle(lui), et pourtant ne pas désirer en avoir davantage : par exemple l’avoir sous la forme de jumelles(eaux) ou de triplé(e)s, ce serait idiot ! Idem pour des reliques ou des lieux saints. Même dans notre monde, on ne peut pas dépouiller facilement une religion ou une secte de ses lieux saints, en lui proposant en compensation trois fois plus de surface, ni même un endroit supposément trois fois plus saint : ça ne marche pas comme ça.
Quand il y a ainsi une individualisation de « l’objet du désir », celui-ci devient irréductible à un simple objet, qui aurait une valeur. Il est au-delà de toute valeur. On ne peut pas l'acheter, ni le prendre, ni s’en défaire : il devient une part de soi-même. (Ou bien c’est l’inverse : c’est parce que le territoire sacré fait partie du peuple lui-même, n’est pas pensé comme séparé du peuple, qu’il acquiert l’équivalent d’une individualité).
Donc ça ne me semble pas paradoxal. On peut être férocement « territorial » (ou maladivement jaloux) sans avoir le moins du monde envie de prendre le territoire (la femme) d’autrui : « J’ai la plus belle femme du monde, elle me convient à la perfection. Le premier qui la regarde, je le tue ! Mais vos femmes à vous, bof, elles ne me conviendraient pas, elles ne valent pas grand-chose, je vous les laisse... Sauf de temps en temps quand je fais une razzia, mais alors c’est une guerre contre vous, pour vous exterminer ou pour vous humilier, non pas une guerre de conquête. » Ça ressemble à : "Mon territoire est spirituellement complémentaire de mon peuple, et de lui seul. N'y mettez pas le pied ! Mais le territoire des autres ne m'intéresse pas, sauf pour y faire des incursions guerrières visant des personnes ennemies, et non pas le territoire ni les biens."
Voilà ce que m’inspirent les remarques de Christophe. Je ne suis pas du tout spécialiste de ces questions et j’ai conscience d’échafauder une explication psychologique (et non pas anthropologique) complètement hors-sol. Mais le rapport au territoire tel qu’il est décrit ci-dessus m'a fait penser à un rapport religieux fanatique, ou amoureux possessif... (Ou l’inverse : amoureux fanatique, religieux possessif !)
Merci pour ces débats passionnants.
Marc Guillaumie.
Bonjour,
SupprimerJe suis l'anonyme du 28 décembre et ce que je voulais dire rejoint très exactement ce que développe Marc Guillaumie. Je pense que l'attachement au territoire était de nature "ontologique", si l'on peut dire, et sans esprit de rivalité avec d'autres communautés. Cet attachement positif n'est plus compréhensible dans une représentation du monde quantifiée par la marchandise et par la concurrence, mais elle a probablement dominé les esprits jusqu'à une date récente (la paysannerie européenne).
Jean-Pierre B.
Hello Christophe,
RépondreSupprimerSi je comprends bien, tu te demandes si oui ou non, certains peuples sans richesse se battaient pour du territoire. Tu analyses les déclarations des uns et des autres concernant leurs idéologies respectives, et tu en conclus que manifestement, non, ils ne se battent pas pour du territoire.
Ce qui m'étonne cependant, c'est que tu passes très vite sur l'objection que « cela n'a jamais empêché les populations australiennes de migrer, d'en chasser d'autres et finalement, de s'installer sur leurs terres ». Alors que cette objection me paraît assez importante. Que les conflits soient déclenchés officiellement, et peut-être même sincèrement, pour des raisons ayant à voir avec la vengeance, le vol de femmes, etc., n'empêche pas que, dans la décision de déclencher un conflit, ou bien dans l'acharnement avec lequel on choisit de combattre l'adversaire, des questions territoriales puissent peser. Il y a donc différents types de « causes » : des justifications officielles, des motivations, des éléments déclencheurs.
Par ailleurs, il me semble qu'il y aurait une distinction à établir entre « se battre pour acquérir/conquérir/conserver un territoire » et « se battre pour exploiter/empêcher d'exploiter » les ressources d'un territoire. Tu y fais rapidement allusion concernant la répression du braconnage. Peut-être qu'une société qui n'a pas les moyens d'occuper de façon permanente un plus grand territoire, trouver quand même intérêt, occasionnellement, à tenter d'exploiter des ressources situées hors de son territoire habituel (cela paraît même assez probable vu la dépendance extrême des chasseurs-cueilleurs aux variations naturelles).
La question est intéressante. Voici quelques éléments de réflexion que je peux apporter au débat. Tout d’abord une précision de vocabulaire car je pense qu’il faut distinguer ce qui constitue des motifs d’affrontements violents de la question de l’origine ou des origines de la guerre.
RépondreSupprimerL’ethnographie nous donne accès aux motifs d’affrontements soit invoqués par des acteurs soit rapportés par les ethnologues. Cela concerne des sociétés quasi contemporaines et permet d’extrapoler par le raisonnement et l’archéologie jusqu’au paléolithique supérieur. Voici pour moi ces motifs d’affrontements identifiés : en premier la vengeance, en second les femmes. Puis viennent d’autres causes comme la chasse aux têtes (Amérique du Sud), les cochons (en Nle Guinée), etc. La terre ou le territoire (ce n’est pas exactement la même chose) n’apparaissent pas dans ces motifs chez les chasseurs-cueilleurs ou les horticulteurs avec même des situations très nettes de ne pas empiéter sur des territoires pleins de dangers, comme vous le mentionnez.
Ce constat est un argument qui affaiblit, à mes yeux, la thèse de l’invention de la guerre au Néolithique. Ce moment ne serait en fait que celui d’un phénomène préexistant qui se développe pour ce nouveau motif dans les régions où apparaît l’agriculture.
Pour revenir sur la nuance entre motifs et origines de la guerre, si la guerre est très ancienne, nous ne pouvons pas exclure que les motifs aux origines même du phénomène guerre ne furent pas les mêmes que ceux que nous observons aujourd’hui.
La guerre pour les ressources est souvent avancée. Je pense qu’il y a un biais intellectuel. Les scientifiques cherchent des motifs qui paraissent rationnel à un cerveau du XXIe siècle. L’ethnographie nous dit au contraire que les chasseurs cueilleurs ou les peuples guerriers (Yanomamö, Nle Guinée) n’ont généralement pas de problème de ressources. Cela n’exclut pas la crise environnementale. Mais les travaux faisant la preuve d’un lien entre crise environnementale et bellicosité (fortifications) sont rares.
Sur la question du territoire, difficile de ne pas évoquer ce qui disent les primatologues à propos des chimpanzés. Leur comportement est territorial et le lien avec leurs affrontements semble établi (rondes aux frontières). La notion de territoire est-elle la même pour un chimpanzé et un homme ? Il me semble que la distinction de Bernard Lahire entre social et culturel s’applique ici. Le territoire est social pour sa dimension sécuritaire pour toute société ; il devient culturel pour les sociétés humaines avec les notions de terres des ancêtres, culte des morts, le partage avec les esprits, etc.. Cela démultiplie bien évidemment les raisons de faire la guerre.
Jean Claude Favin Lévêque ( auteur de Les origines de la guerre. Les sciences de l’homme et la violence collective, L’Harmattan)
Bonjour. Je poste ceci ici n'arrivant pas (pardon…) à trouver un autre myen de vous indiquer la parution d'une étude sur la photographie des aborigenes australiens, "Photography as Classification and Creation of Indigenous ‘Other’ ", par Alexandra Guerman : https://loeildelaphotographie.com/fr/vasa-project-la-photographie-comme-classification-et-creation-de-lautre-autochtone/?utm
RépondreSupprimerUne question complémentaire à la votre, comment expliqué la maintenance du style de vie des aborigènes australiens après plus de 40 000 ans de présence sur cette grande île alors qu'ailleurs bien plus récemment on a vu ,naitre des civilisations urbaines et de l'ecrit??
RépondreSupprimerCe serait d'ailleurs plutôt 60 000 ans, ce qui rend la question encore plus intrigante. Je ne crois pas que nous sachions y répondre de manière satisfaisante. Certains auteurs (Meggitt, Testart) y ont vu un conservatisme viscéral, effet de la religion ou des structures matrimoniales. Pour diverses raisons, je ne crois pas que ces explications soient convaincantes. Reste le fait que l'Australie est « au bout du monde » et de ce fait à peu près totalement isolée du reste de l'humanité depuis la fin de la dernière glaciation. Je ne peux m'empêcher de penser que c'est un facteur important.
SupprimerMais on peut poser la même question à propos des chasseurs-cueilleurs San, alors qu'ils ne sont pas du tout isolés géographiquement.
SupprimerSi j'en crois Wikipédia, le groupe ethnique Khoïsan se subdivise en chasseurs-cueilleurs (San) et cultivateurs. Il y a donc une partie de cette population, d'origine très ancienne puisqu'elle serait issue de la première subdivision génétique au sein d'homo sapiens (*), qui s'est laissée tenter par l'agriculture et une autre qui l'a refusée.
(*) on doit pouvoir trouver des sources ici (avec d'ailleurs une hypothèse intrigante : « La sélection positive en cours pour les allèles de tolérance au lactose dans deux populations traditionnelles de chasseurs-cueilleurs Khoïsan indique que ces dernières pourraient n’être passées que récemment du pastoralisme au mode de vie chasseurs-cueilleurs ») :
https://comptes-rendus.academie-sciences.fr/biologies/articles/10.5802/crbiol.55/
Les San, c'est une tout autre configuration. Ils n'ont cessé d'osciller entre agriculture et chasse-cueillette, et les « bushmen » modernes ne sont pas du tout issus d'un isolat. En plus, la grande question avec l'Australie est celle de l'absence de l'agriculture dans un environnement qui la rendait possible (et profitable ?). Dans le Kalahari, ce paradoxe (au moins apparent) ne se pose pas.
SupprimerA l'observation du mode de vie des Aborigènes depuis ces dizaines de milliers d'années jusqu'à une époque très récente, on doit pouvoir affirmer tout d'abord que homo sapiens, et probablement tout autre homo, n'est pas destiné à produire des structures sociales urbaines, étatiques et complexes. Ce qui est un coup de canif à une perspective évolutionniste de type sauvagerie-barbarie-civilisation qui serait inscrite dans un quelconque "ADN social". Serait-ce alors pour chaque groupe humain l'altérité, et l'un de ses corollaires, la conflictualité, puis la résolution de la conflictualité, qui est facteur d'évolution sociale? Peut-être, mais je vois une autre explication. Homo sapiens est arrivé en Australie et s'y est retrouvé "coincé", mais pas totalement isolé car des échanges depuis l'Asie ont eu lieu plusieurs millénaires avant notre ère (arrivée du dingo par exemple), avant l'extinction de la mégafaune. Donc, culturellement, c'est un prédateur carnivore de premier plan qui a débarqué en Océanie ( https://www.futura-sciences.com/sciences/actualites/homme-nos-ancetres-etaient-superpredateurs-durant-2-millions-annees-jusqua-changement-regime-86652/ ). Mais là, il se retrouve "bêtement" en concurrence avec le loup de Tasmanie pour des proies de deux cents kilos au mieux (les kangourous). Home Sapiens est alors suradapté! Fin des grandes épopées chasseresses et de la crainte légitime des ours d'une tonne! Cependant la poursuite d'un régime carné est possible vu la taille du pays et à condition de se tourner vers de plus petites proies, souvent de moins d'une dizaine de kilos. Qu'importe les Abos vont"faire avec". En Afrique et Eurasie, la mégafaune se raréfie doucement de -40000 à -10000 environ où elle disparait. C'est dans cet intervalle que, dans un monde restant dangereux (lions, ours, crocodiles, grandes meutes de loups...) les humains vont développer des pratiques sédentaires (les premières traces de poterie remontent de mémoire à -27000 ans en Russie asiatique bien que ensuite cette pratique est apparemment abandonnée avant de revenir en force au M-O 15000 ans plus tard) et changer d'alimentation, devenir fourrageurs-cultivateur, puis cultivateurs. Mais nos Abos eux vont perpétuer un mode de vie dérivé de celui des chasseurs-cueilleurs eurasiatiques parce que l'environnement dans lequel ils sont arrivés et sa faune l'exigeaient et qu'il ne changea guère en 60.000 ans.
RépondreSupprimerJe précise ma dernière phrase peu claire: parce que l'environnement qu'ils ont investi et la faune qui l'occupait ont peu changé e n 60.000 ans. Bref, les Eurasiatiques ont eu des dizaines de milliers d'années pour s'adapter à la disparition de la mégafaune, et produire de nouvelles structures sociales, tandis que les Abos ont dû opérer dans un environnement dépourvu de mégafaune en ne devant qu'adapter légèrement leurs structures sociales, essentiellement leurs techniques de chasse (pensons au boomerang peu efficace contre le rhinoceros laineux, le cheval ou l'éléphant).
RépondreSupprimerJ'avoue que j'ai un peu de mal à faire le lien entre présence / absence de la mégafaune et sédentarité, voire structures sociales. Il faudrait qu'on en discute plus avant, parce que tel quel, il ne me semble pas du tout évident.
SupprimerMais j'en viens directement à la première phrase, qui me semble essentielle : la formulation qui dirait que notre espèce est « destinée » à produire des structures sociales urbaines et complexes n'est certainement pas la meilleure, en raison de cette idée de « destin » qui évoque un but préétabli. Pour autant, mettez quelques centaines de milliers d'humains chasseurs-cueilleurs dans des environnements variés et surtout, changeants, laissez-les inventer, s'organiser, se combattre, etc. durant suffisamment de temps, et je ne vois pas bien comment, à un moment donné, on échappera au fait que certains se sédentarisent, inventent l'agriculture, la rendent plus productive, etc. Après, il est intéressant de comprendre pourquoi les uns et pas les autres, pourquoi maintenant plutôt que plus tôt ou plus tard, mais le mouvement d'ensemble me paraît pour ainsi dire inéluctable.
Cette discussion était d'ailleurs le cœur de mon intervention à la journée de la SPF autour du livre de D. Wengrow, qui sera bientôt disponible en ligne.
Destiné valait bien des guillemets j'en conviens. Mais en fait je ne vois de "destin" ni à rester chasseur-cueilleur ni à devenir fourrageur-agriculteur ou inventer l'écriture et bâtir des villes. Il y a nécessairement des phénomènes d'imitation et de réappropriation qui sont en jeu mais ils reposent sur des conditions matérielles qu'il faut découvrir et expliquer. La fertilité quasi continue au cours de l'année des femelle humaines, stratégie gagnante de croissance démographique mise en place par d'autres espèces, comme l'ancêtre de nos poules d'élevage mais en plus couplée à l'altricialité, a sûrement joué un rôle important dans les phénomènes de sédentarisation permanente, qu'ils soient strictement agricoles ou non, urbain ou non. Je ne suis même pas sûr que Homo ait un jour été un strict nomade... On devrait parler plutôt de nomadisme "trans-générationnel", comme chez les loups où la meute reste sur son territoire mais que des jeunes quittent pour s'installer sur d'autres territoires (essaimage). A ce sujet, un vieil ivoirien m'a un jour raconté ceci: un père a 4 fils (oui c'est une histoire patriarcale!). Devenus grands ses garçons quittent le village vers les 4 points cardinaux et leurs fils feront pareillement. Puis il a souri, attendant une réaction. J'ai alors dit que à la génération suivante, plusieurs fils reviendront dans le village de leurs grand-père. Il m'a dit: c'est ça! Fin de la conversation, tout était dit. J'y ai vu une fantastique explication du brassage culturel et de la circulation des langues, des connaissances, des pratiques. Tout ceci dit on a à notre disposition qu'une seule histoire de l'humanité, et on ne pourra évidemment pas vérifier expérimentalement qu'en multipliant les "reset" depuis un point "zéro" toutes les tests convergent nécessairement de manière préférentielle et majoritaire vers l'organisation agri-urbaine. Parler d'inéluctabilité du mouvement de transformation des modes de production alimentaire, car c'est au fond de ça qu'il s'agit, me paraît donc un peu précipité, malgré l'existence de conditions matérielles que j'évoque, ou plutôt que Lahire évoque et qui mérite bien que je m'efface devant lui. On ne peut, il me semble, que constater que les choses se sont produites ainsi, non dire qu'elles n'auraient pas pu se produire autrement.
RépondreSupprimerConcernant la mégafaune: il semble qu'elle ait constitué une source privilégiée d'alimentation carnée et que sa disparition doive bien plus à la prédation humaine qu'au climat. On ne bâtit pas des systèmes agricoles ou agro-urbains du jour au lendemain, c'est une longue phase d'expérimentation, d'adaptation, de conception des outils indispensables (des récipients à la houe en passant par les greniers étanches aux commensaux divers) qui est nécessaire. Or les ancêtres des Aborigènes ne maîtrisaient probablement rien de tout cela à l'époque où ils ont franchi les mers (au moins faisaient-ils déjà du bateau!). N'ayant pas vu disparaître progressivement la mégafaune mais ayant pris pied dans un espace où elle n'existait pas, la contrainte au changement était aussi impérative que brutale. Donc les changements ne se sont fait que à la marge (boomerang, petites proies) et rapidement, pas en profondeur sur un temps long. Au plaisir de vous lire encore, Mr Darmangeat.
Le maintien des pratiques de chasseurs-cueilleurs des Abos tend d'ailleurs à montrer qu'il n'y a rien d'inéluctable, à moins que la colonisation, l'expropriation, l'anomisation d'un peuple par un autre ne le soit... Ce qu'a peut-être vécu, les San du Kalahari...
RépondreSupprimerPardon mais juste au-dessus c'est encore moi et pas "Anonyme" :)
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