Un chamanisme qui a le vent en poupe
La fascination quelque peu béate dont bénéficient, sous nos latitudes, les pseudo-médecines, a placé le chamanisme sur le podium des savoirs ancestraux qui complèteraient (ou remplaceraient ?) avantageusement les produits de la recherche scientifique. On peut ainsi voir fleurir festivals et propositions de cures chamaniques censées soigner un peu tout et n'importe quoi – à commencer par le compte en banque de ceux qui les pratiquent.
Quoi qu'il en soit, il est parfois bon de revenir aux sources et, tant qu'à se tourner vers les thérapeutiques pour leur parfum d'authenticité, à le faire en toute connaissance de cause. Voici donc quelques lignes extraites d'un mythe inuit rapporté par Bertrand Saladin d'Anglure dans son article « Le 'troisième' sexe social des Inuit » (Diogène, 2004/4, n°208, p. 157-168)
Itijjuaq, « grand anus », ne savait ni gratter les peaux, ni les couper en vue de la confection, ni coudre. Elle n’était pas capable non plus d’avoir d’enfants. Mais elle bénéficiait de la protection spéciale de ses grands-parents décédés, qui s’étaient, de leur vivant, beaucoup attachés à elle, et lui procurèrent, après leur mort, l’intelligence des choses. [Grâce à ce don], elle se mit à la recherche d’un esprit auxiliaire et, ayant trouvé une coquille d’oursin (itiujaq), sur le rivage, elle s’en fit une amulette en aspirant [son pouvoir] par l’ouverture, et elle devint ainsi chamane. Elle devint capable de guérir les malades en lâchant des pets dans leur direction. (...)
B. Saladin d'Anglure ajoute ces commentaires :
Dans le présent récit, la clairvoyance va guider Itijjuaq vers le rivage, lui faire ramasser la coquille d’oursin, la porter à sa bouche, en aspirer l’air qu’elle contient et découvrir bientôt le pouvoir qu’elle en retire.
Pour comprendre en quoi consiste ce pouvoir, il faut revenir au maître du Sila (l’atmosphère), Naarjuk (« gros ventre »), dans le langage des chamanes, l’esprit du cosmos. Les souffles qui émanent du corps sont en rapport avec l’air qui entoure l’âme de tout être vivant, encapsulé dans une bulle de la grosseur d’un œuf, logée dans le corps, près de l’aine. Cet air a été prélevé dans l’atmosphère le jour de la naissance et relève donc de Naarjuk. La coquille vide de l’oursin de par sa forme rappelle celle de la bulle ; le dessin en forme d’étoile qui s’y trouve ressemble, selon les Inuit, à un anus, d’où le nom donné à la coquille d’oursin : itiujaq (« ce qui ressemble à un anus ») ; on prête à l’air qu’il contient, quand on l’aspire, le pouvoir de guérir les maladies, de réparer les désordres corporels. (...)
Tous les témoignages anciens s’accordent pour reconnaître au pet (niliq) un pouvoir curatif, qu’il s’agisse de ceux publiés par Rasmussen ou de ceux recueillis par Comer (Boas 1901). Rasmussen (1929) écrit :
« Quand un homme tombait malade, quelqu’un se rendait auprès de lui et lâchait un pet, par derrière, vers la partie malade. Puis il sortait pendant qu’une autre personne tenait une de ses mains, incurvée, sur la partie malade, et soufflait en même temps sur la paume de son autre main, dans la direction opposée au patient. On croyait ainsi que le pet et le souffle, utilisés ensemble, combinaient tout le pouvoir émanant du corps humain, un pouvoir si mystérieux et puissant qu’il était capable de guérir une maladie… »
On attend donc de pied ferme qu'un chamane moderne revienne aux fondements de sa discipline et propose haut et fort cette méthode contre rémunération. En souhaitant au malade que le médicament ne glisse pas sur lui... comme un pet sur une toile cirée.
Au moins, on est sûr de ne pas en mourir ... Ce qui n'est pas forcément le cas avec quelques merveilleuses productions de la science moderne (en l'occurrence, "moderne" et "capitaliste" sont synonymes) dans le genre Médiator.
RépondreSupprimerOui, bien sûr, tout ce qui est précapitaliste est aimable, et quand on est soigné avec des pets, des incantations ou de la bave de crapaud, on meurt plus jeune, mais au moins en bonne santé.
SupprimerRien de moins sûr... Le traitement pouvait les achever...
RépondreSupprimerOlivier M.
RépondreSupprimerQu'en penserait Descola, cet apologiste des savoirs indigènes qui a tendance à se la péter un peu ?
RépondreSupprimerMerci Christophe pour ton humour toujours très parfumé...
RépondreSupprimerPrems. Celle-là je l'ai déjà glissée dans le billet...
SupprimerTrès drôle...
RépondreSupprimerMais la drôlerie vient exclusivement des jeux de mots de Ch. Darmangeat : "vent en poupe, parfum, fondement", etc. Je le remercie de m'avoir fait découvrir B. Saladin d'Anglure.
Ce dernier fait des remarques intéressantes, sur la gêne des anthropologues vis-à-vis de ce mythe. Et les Inuit ? Cette histoire leur paraissait-elle tout à fait racontable ? ou bien comique, ou un peu gênante, ou franchement obscène ? Car il y a des degrés dans la censure (éventuelle).
Intéressante aussi serait une étude du néo-chamanisme (ou pseudo-chamanisme) dans nos sociétés. Il s'agit sans aucun doute d'un "bricolage" New Age, spiritualo-thérapeutique, avec des intérêts commerciaux... Et alors ? Je ne vois pas pourquoi ce genre de bricolage mériterait le respect attentif des anthropologues, chez les !Kung ou dans le candomblé, et pas chez nous. Mais quelle que soit l'approche (sociologique, ethnologique...) il faut à mon avis éviter de ricaner de l'objet d'étude, et de considérer a priori tous les néo-chamans comme des margoulins. A titre d'information : je connais quelques "sorciers" ruraux (sourciers, leveurs de feu, etc.) et aucun ne veut être payé. Ni ne cherche à être connu.
Je n'ai pas la prétention de tirer de ces faits une loi statistique, mais l'explication par l'appât du gain me paraît pour le moins partielle. Nous manquons d'études comme celle de J. Favret-Saada, ne serait-ce que pour faire pièce à la respectabilité que cherche à acquérir le CESNUR, cheval de Troie académique de la Nouvelle droite.
J'ajoute : le dégoût, ça va, ça vient... On a rigolé pendant des siècles des médecins de Molière, qui goûtaient les urines, beurk ! Et aujourd'hui, il paraît qu'il n'y a rien de mieux. On ne pourra donc guère s'étonner si, un de ces jours, le pet thérapeutique est reconnu.
RépondreSupprimerAprès tout, le bruit et l'odeur, ça a déjà été un thème politique (de très haut niveau).
Qu'il y ait des gens qui croient suffisamment à leurs sornettes pour les dispenser à titre gratuit, je l'admets bien volontiers. Mais si les médecines dites « alternatives » étaient globalement plus désintéressées que la médecine « mainstream » qu'elles dénoncent , cela se verrait – et cela ne les rendrait pas plus efficaces pour autant.
SupprimerBref, on peut étudier la pseudo-médecine, l'eau de Lourdes ou le débredinoire de Saint-Menoux en tant que phénomènes sociologiques, et en tant que tels, ce sont des objets d'études parfaitement légitimes. Pour autant, on n'est pas obligé de penser que sur le plan de la rationalité et de la médecine, il s'agit d'entreprises respectables. Et si l'on riait (et que l'on doit continuer à rire) à juste titre des médecins de Molière, ce n'est pas parce qu'ils goûtaient les urines, mais parce que les conclusions auxquelles ils prétendaient parvenir étaient fondées sur des a priori, et non sur des preuves.
Ainsi il y aurait deux catégories : d'un côté les théories rationnelles respectables fondées sur des preuves, de l'autre les a priori et les sornettes ?
SupprimerAinsi, tout soin autoproclamé et toute théorie sur le fonctionnement du corps humain en valent d'autres, et les études destinées à vérifier l'apport thérapeutique de tel ou tel médicament n'ont pas plus de valeur que l'opinion de l'internaute qui fait son petit marché New Age ?
SupprimerIl ne me semblait pas avoir dit cela... Vous venez de faire la démonstration de ce que j'essaie d'expliquer : toute personne qui n'est pas entièrement d'accord avec vous est (selon vous) malhonnête ou stupide.
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