Léon Trotsky, sur la guerre et la « lutte pour la vie »
« La lutte pour la vie » (bronze d'E. Drouot) |
Un ami (qu'il en soit remercié !) me signale un texte de Léon Trotsky, écrit en pleine guerre civile, dans lequel celui-ci réagit à un article publié dans une revue militaire soviétique. Son grand intérêt est qu'il y discute de questions générales, en particulier celle du niveau de specificité auquel il faut raisonner si l'on veut comprendre quelque chose aux phénomènes. Peut-on les rassembler dans des catégories qui dépassent les différents types sociaux, voire les différentes espèces ? Ce questionnement, qui est par ailleurs au cœur du dernier livre de Bernard Lahire, Les structures fondamentales des sociétés humaines, sur lequel j'aurai probablement l'occasion de revenir, ne possède, me semble-t-il, pas de réponse a priori. Plus exactement, il est évident qu'il est possible de forger des catégories à tous les degrés de généralité ; un exemple qui me vient en tête, et qui dépasse même le monde vivant, et celui de la complexité. Bien des auteurs ont ainsi soutenu l'idée que la matière tendait à s'organiser de manière de plus en plus complexe avec le temps, et ce qu'elle soit vivante ou non. L'évolution qui a conduit le magma de particules post-Big Bang à l'assemblage d'atomes comportant de plus en plus de protons, puis aux molécules (éventuellement géantes) peut ainsi être rapprochée de celle qui a vu la vie faire émerger, aux côtés des unicellulaires du précambrien, des êtres de plus en plus différenciés.
Une première réflexion sur ces questions aussi passionnantes que difficiles est que la discussion se déroule à deux niveaux. Se pose tout d'abord la légitimité de la démarche comparatiste sur l'échelle la plus large possible afin de rechercher tant les constantes que les variations. Il me semble qu'un tel programme de recherche n'est non seulement pas criticable, mais que c'est le seul qui puisse mériter le nom de travail scientifique. Se pose ensuite la question des résultats obtenus grâce à cette méthode. Là, je ne crois pas qu'il existe de réponse valable pour toutes les disciplines et toutes les questions. Le plus probable est que c'est justement en procédant à ce comparatisme systématique que l'on pourra mettre en lumière les niveaux pertinents de raisonnement, voir quel découpage fait ressortir des propriétés intéressantes, et quel autre ne produit que des généralités un peu creuses ou triviales.
Tel est donc l'enjeu du texte qui suit, qui aborde cette réflexion à propos du thème plus précis de la guerre. Malgré des informations anthropologiques parfois discutables, schématiques, voire franchement dépassées (sur le cannibalisme ou l'esclavage), ou le choix très contestable de définir la guerre comme un phénomène étatique, il soulève des questions qui n'ont pas pris une ride, à commencer (ou à finir !) par celle par laquelle il se conclut.
Science militaire et littérature : parler pour ne rien dire
Tout en publiant bon nombre d'utiles articles spéciaux, la revue Affaires militaires ne réussit pas à trouver son équilibre intellectuel. Rien d'étonnant à cela. Des événements qui n'avaient pas été prévus par les collaborateurs d'Affaires militaires se sont déroulés dans le monde entier et en particulier dans notre propre pays. Tout d'abord, ces collaborateurs furent nombreux à penser qu'aucun schéma n'étant applicable à ces événements, tout était incompréhensible ; par conséquent, il valait mieux refuser tout critère d'appréciation et attendre patiemment de voir quelle serait l'issue de ce bouleversement. Mais au fur et à mesure de l'écoulement du temps, certaines caractéristiques de l'ordre commencèrent à poindre de cet immense chaos que les collaborateurs d'Affaires militaires n'avaient absolument pas prévus. L'intelligence humaine est généralement passive et assez paresseuse; elle saisit plus facilement ce qu'elle connaît et qui n'exige pas de réflexions supplémentaires.
C'est ce qui se passe actuellement. S'étant tout d'abord convaincus que leurs connaissances n'étaient pas rejetées et reconnaissant ensuite dans la nouvelle organisation des traits qui leur étaient familiers, maints spécialistes militaires se dépêchèrent d'en conclure qu'il n'y avait rien de nouveau sous le soleil et que par conséquent, les anciennes structures pouvaient encore très bien servir avec succès. Mais il y a plus. Après avoir conclu que finalement, dans le domaine militaire aussi, tout finirait par retomber aux anciens usages, ils reprirent courage et décidèrent d'attendre benoîtement la restauration. À cette enseigne, quelques collaborateurs d'Affaires militaires s'empressèrent de remettre sur le tapis leurs conceptions générales fortement poussiéreuses — notamment à propos de la place de la guerre et de l'armée dans l'histoire de l'évolution humaine. De toute évidence, ils se prennent pour des « spécialistes » dans ce domaine aussi. Erreur fatale ! Un bon artilleur ou un intendant est loin d'être toujours appelé à jouer les historiens philosophes.
À travers deux ou trois exemples, en voici la preuve. Dans son numéro 15-16, les Affaires militaires publient en bonne place un article du citoyen F. Herschelman : « La guerre sera-t-elle possible à l'avenir ? » À commencer par le titre, tout est faux dans cet article. Quant au fond, l'auteur se demande si les guerres sont inévitables à l'avenir et arrive à la conclusion qu'elles le seront. Comme chacun sait, il existe une abondante littérature à ce sujet. Aujourd'hui, la question est passée du domaine littéraire à celui du combat intensif, prenant ouvertement dans tous les pays l'aspect d'une guerre civile. En Russie, le pouvoir est aux mains d'un parti politique dont le programme définit avec précision et netteté les caractéristiques sociales et historiques des guerres passées ou actuelles, et qui précise avec autant de clarté que d'exactitude les conditions dans lesquelles les guerres deviendront non seulement inutiles, mais aussi impossibles. Personne ne demande au citoyen Herschelman d'adopter le point de vue communiste. Mais quand un spécialiste militaire entreprend une analyse de la guerre dans une revue russe officieuse – en 1919, pas en 1914 ! – il semble qu'on serait en droit d'exiger que ledit spécialiste connaisse au moins les rudiments du programme qui est la doctrine officielle du régime et sur lequel repose toute notre politique intérieure et internationale. Il n'y fait même pas allusion. Comme il est de tradition, l'auteur commence par le commencement, c'est-à-dire qu'il démarre sur un postulat de la pire banalité, tiré de la scholastique impuissance historique de Leer et stipulant que « la lutte est l'apanage de tout ce qui vit ».
Fondé sur l'interprétation la plus large, voire illimitée, du mot « lutte », cet aphorisme supprime en toute simplicité l'ensemble de l'histoire humaine en la dissolvant sans résidu dans la biologie. Lorsque sans jouer sur les mots nous parlons de guerre, nous sous-entendons un affrontement systématique de groupes humains organisés par l'État et qui utilisent les moyens techniques dont ils disposent au nom de buts fixés par le pouvoir politique qui les représente. Il est absolument évident que rien de semblable n'existe en dehors de la société humaine. Si la lutte est propre à tout ce qui vit, la guerre en revanche est un phénomène purement historique et humain. Celui qui ne s'en rend pas compte est encore très loin du seuil même de la question.
Jadis, les hommes se mangeaient entre eux. Dans certains pays, le cannibalisme s'est encore conservé jusqu'à nos jours. Il est vrai que les Achantis ne publient pas de revues militaires, mais s'ils le faisaient, leurs théoriciens militaires écriraient vraisemblablement : « Espérer que les gens renoncent au cannibalisme est vain, puisque la lutte est l'apanage de tout ce qui vit. » Avec la permission du citoyen Herschelman, nous pourrions répliquer au savant anthropophage qu'il ne s'agit pas pour l'instant de la lutte en général, mais de l'une de ses formes singulières, qui s'exprime en l'occurrence par l'homme à l'affût de son semblable. Manifestement, le cannibalisme n'a pas disparu sous l'effet de la persuasion, mais à la suite des modifications de l'ordre social : en effet, lorsqu'il se révéla plus avantageux de transformer les prisonniers en esclaves, l'anthropophagie (cannibalisme) disparut. Et la lutte ? La lutte, eh bien, elle demeura. Cependant, pour le moment nous ne parlons pas de lutte, mais de cannibalisme.
Jadis, le mâle se battait avec un autre mâle pour une femelle. Les fiancés antiques « enlevaient la fille de l'eau ». Comme le citoyen Herschelman le sait sans doute, ce moyen n'a plus cours de nos jours, bien que la lutte soit l'apanage de tout ce qui vit. Les règlements de comptes dans les bois ou les cavernes ont été remplacés plus tard par des tournois de chevalerie en présence des dames. Cependant, tournois et duels appartiennent aujourd'hui au passé ou se sont dans l'ensemble transformés en vulgaire écho de mascarade des anciens heurts sanglants. Pour comprendre ce processus, il faut suivre de près l'évolution de l'économie, les relations entre hommes et femmes, les modifications fondamentales intervenues dans la vie familiale et tribale courante, l'apparition et l'évolution des classes, le conditionnement historique des opinions et des préjugés des chevaliers et de la noblesse, le rôle du duel en tant qu'élément de l'idéologie de classe, la disparition du fondement social des classes privilégiées, la transformation du duel en une survivance inutile, etc. Sur la base d'un aphorisme vide de sens – la lutte est l'apanage de tout ce qui vit – dans ce domaine comme dans tous les autres, on ne peut pas aller bien loin.
Les tribus et les clans slaves se battaient entre eux. Du temps du féodalisme, les principautés se battaient entre elles. Les tribus allemandes faisaient de même, tout comme les principautés féodales de la future France unifiée. Les luttes sanglantes entre féodaux, les guerres opposant entre elles les provinces ou les villes aux armées de chevaliers étaient à l'ordre du jour non pas parce que « la lutte est l'apanage de tout ce qui vit », mais parce qu'elles étaient déterminées par certaines relations sociales de l'époque, et elles disparurent en même temps que ces dernières. Les motifs qui poussaient les Moscovites à se battre contre les habitants de Kiev, les Prussiens contre les Saxons, les Normands contre les Bourguignons étaient à l'époque aussi profonds et rigoureux que les causes qui se trouvaient à l'origine de la dernière guerre entre Allemands et Anglais. Par conséquent, une fois encore, il ne s'agit pas d'une simple loi de la nature en tant que telle, mais de lois spécifiques définissant l'évolution de la société humaine. Sans même nous éloigner du domaine le plus général des considérations historiques, permettez-moi de poser une question : si l'homme a dépassé le stade de la guerre entre la Bourgogne et la Normandie, la Saxe et la Prusse, entre les principautés de Kiev et de Moscou, pourquoi ne dépasserait-il pas le stade des affrontements entre l'Angleterre et l'Allemagne, la Russie et le Japon ? De toute évidence, la lutte dans le sens le plus large du mot demeurera ; toutefois, la guerre – qui n'est qu'une forme particulière de cette lutte – n'est apparue qu'à l'époque où l'homme commença à bâtir sa société et à utiliser des armes. Cette forme singulière de lutte – la guerre – a suivi le cours des modifications de la société humaine et, dans certaines circonstances historiques, elle peut complètement disparaître.
Dans leur morcellement, les guerres féodales étaient essentiellement dues à l'isolement de l'économie moyenâgeuse. Chaque région considérait sa voisine comme un monde replié sur lui-même duquel on pouvait tirer profit. Dans leurs nids d'aigle, les chevaliers observaient d'un œil rapace l'enrichissement des villes qui se développaient. L'évolution ultérieure a unifié les provinces et les régions en un tout. À la suite d'une lutte interne et externe impitoyable, la France unifiée, l'Italie unifiée et l'Allemagne unifiée se développèrent sur cette nouvelle base économique. L'unité économique ayant ainsi transformé de grands pays en un organisme économique unique, les guerres devinrent impossibles dans les limites de cette nouvelle formation historique élargie : la nation et l'État.
Cependant, l'évolution des relations économiques n'en resta pas là. L'industrie avait depuis longtemps dépassé son cadre national et avait lié le monde entier par les chaînes de l'interdépendance. Ce n'est pas seulement la Bourgogne ou la Normandie, la Saxe ou la Prusse, Moscou ou Kiev, mais la France, l'Allemagne et la Russie qui ont cessé depuis longtemps d'être des mondes se suffisant à eux-mêmes pour devenir des parties dépendantes de l'économie mondiale. Nous ne le sentons que trop bien aujourd'hui, en période de blocus militaire, quand nous ne recevons plus les produits industriels allemands ou anglais qui nous sont indispensables. D'autre part, les ouvriers allemands ou anglais ressentent eux aussi cette rupture mécanique d'un tout économique, puisqu'ils ne reçoivent plus ni le blé du Don, ni le beurre sibérien.
Les fondements de l'économie sont devenus mondiaux. La perception des bénéfices — c'est-à-dire le droit d'écrémer l'économie mondiale — n'en est pas moins demeurée aux mains des classes bourgeoises de certaines nations. S'il faut donc chercher les racines des guerres actuelles dans la « nature », ce n'est pas dans la nature biologique ni même dans la nature humaine en général qu'on doit les quérir, mais dans la « nature » sociale de la bourgeoisie qui naquit, puis se développa en tant que classe exploitante, usurpatrice, dirigeante, profiteuse et ravageuse, en contraignant les masses laborieuses à guerroyer au nom de ses objectifs.
Étroitement liée en un tout, l'économie mondiale crée des sources inouïes d'enrichissement et de puissance. La bourgeoisie de chaque nation voudrait être la seule à bénéficier de ces sources, désorganisant par la même occasion l'économie mondiale, comme le firent les féodaux à l'époque de transition vers un nouveau régime.
Une classe destinée à semer toujours davantage de désordre dans l'économie ne peut se maintenir longtemps au pouvoir. C'est pourquoi la bourgeoisie elle-même se sent contrainte de chercher une issue en créant « la Société des Nations ». L'idée de Wilson est de réviser l'économie mondiale unifiée en créant une espèce de société de brigandage par actions, afin que les profits soient répartis entre les capitalistes de tous les pays sans qu'ils se battent entre eux. Manifestement, Wilson entend garder la majorité des actions pour ses propres boursiers de New York ou de Chicago, ce dont ne veulent pas entendre parler les bandits de Londres, Paris, Tokyo et autres.
C'est dans cet affrontement des appétits bourgeois que gît la difficulté des gouvernements bourgeois de trouver une solution au problème de la « Société des Nations ». On peut néanmoins assurer qu'après l'expérience de la guerre actuelle, les milieux capitalistes des pays les plus importants auraient créé les conditions d'une exploitation plus ou moins centralisée et unifiée du monde entier sans recourir à la guerre, de la même façon que la bourgeoisie avait liquidé les guerres féodales dans les limites du territoire national. La bourgeoisie aurait pu mener cette nouvelle tâche à bien si la classe ouvrière ne s'était pas retournée contre elle, tout comme en son temps elle-même s'était opposée aux forces féodales. La guerre civile qui s'est terminée en Russie par la victoire du prolétariat aura une fin semblable dans tous les autres pays; cette guerre mène à la conclusion suivante : le prolétariat prend en mains la solution du problème qui se pose aujourd'hui à l'humanité — problème de vie ou de mort, à savoir la transformation de toute la surface terrestre, de ses richesses naturelles et de tout ce qui a été créé par le travail de l'homme en une économie mondiale, mieux systématisée en fonction d'une seule et même pensée, et où la répartition des biens se fait comme dans une grande coopérative.
Le citoyen Herschelman n'a sans doute aucune idée de tout cela. Il a découvert un quelconque opuscule d'un certain professeur Danievski, intitulé Le système de l'équilibre politique, du légitimisme et des commencements de la nation, et, en s'appuyant sur quelques conclusions rachitiques du juriste officiel, en conclut à l'inéluctabilité des guerres jusqu'à l'achèvement des siècles. Dans les colonnes de la revue de l'Armée Rouge ouvrière et paysanne – en mai 1919 ! – l'éditorial expose gravement que le début de... la légitimité ne préserve pas de la guerre ! La légitimité, c'est la reconnaissance de l'immuabilité de toute la saloperie monarchiste, de classes et de castes qui s'est accumulée sur cette terre. Chercher à prouver que la reconnaissance des droits éternels du pouvoir des Hohenzollern ou des Romanov, ou encore des usuriers parisiens, ne préserve pas des guerres, cela signifie simplement parler pour ne rien dire. C'est aussi valable pour la théorie du soi-disant « équilibre politique ». Personne n'a mieux démontré la fausseté et l'inanité de cette théorie que le marxisme (communisme). La tricherie diplomatique de « l’équilibre » n'était que la façade d'une compétition diabolique des engins militaires d'une part et de l'autre – des aspirations de l'Angleterre à affaiblir la France et l'Allemagne, de l'Allemagne à affaiblir la France, etc.
Deux locomotives ont été lancées l'une contre l'autre sur la même voie, voilà la signification de la théorie du monde armé par « l'équilibre européen », une théorie dont les marxistes ont démontré la fausseté bien avant qu'elle ne s'écroulât dans le sang et la boue. Seuls les songe-creux petits-bourgeois et les charlatans bourgeois peuvent parler du principe national comme fondement de la paix éternelle. Lorsque le développement de l'industrie exigea la transformation de la province en une unité nationale beaucoup plus vaste, les guerres furent menées sous la bannière nationale. Les guerres contemporaines ne supposent pas le principe national. Il ne s'agit déjà plus des guerres civiles. Koltchak vend la Sibérie à l'Amérique, Dénikine est prêt à inféoder les trois quarts du peuple russe à l'Angleterre et à la France pourvu qu'on le laisse continuer de piller à son aise le dernier quart. Le principe national ne joue même plus de rôle dans les guerres internationales. L'Angleterre et la France se partagent les colonies allemandes, et écartèlent l'Asie. L'Amérique fourre son nez dans les affaires européennes, tandis que l'Italie s'adjuge des Slaves. À moitié étouffée, la Serbie trouve encore le moyen d'étrangler les Bulgares. Dans le meilleur des cas, le principe national n'est qu'un prétexte. Il s'agit en fait de souveraineté mondiale, c'est-à-dire de la domination économique du monde entier. Après une critique superficielle de la légitimité, de la théorie de l'équilibre politique et du principe national, le citoyen Herschelman ne mentionne même pas le problème de l'issue de la guerre. Et pourtant, cette issue se décide actuellement sur le terrain. Après avoir chassé la bourgeoisie du gouvernail national et pris les rênes du pouvoir, la classe ouvrière prépare la création de la République fédérative soviétique européenne et mondiale qui reposera sur une économie mondiale unifiée.
La guerre a été et demeurera une forme armée de l'exploitation ou de la lutte contre l'exploitation. La domination fédérative du prolétariat en tant que transition vers une Commune mondiale signifie la suppression de l'exploitation de l'homme par l'homme et donc la liquidation des affrontements armés. La guerre disparaîtra comme le cannibalisme. La lutte, elle, continuera, mais ce sera la lutte collective de l'humanité contre les forces ennemies de la nature.
10 juillet 1919, Voronej-Kolodeznaîa
Les Affaires militaires n° 23-24
Merci pour cet article. Concernant Lahire, il est interviewé sur Médiapart: https://www.mediapart.fr/journal/culture-et-idees/020923/bernard-lahire-le-rapport-parent-enfant-est-une-matrice-de-la-domination-omnipresente-dans-les-s
RépondreSupprimerToujours amusant et triste à la fois de voir le désarroi du journaliste gauchiste, à la fois idéaliste et constructiviste :
> Q: Comment repérer des constantes sociales dans l’organisation des sociétés humaines sans que cela ne produise une forme de déterminisme accablant, que ce soit dans la reproduction du pouvoir ou de la domination masculine ? Peut-on conserver une perspective émancipatrice avec de telles lois fondamentales ?
>
>Ce qui est accablant, c’est de constater que la domination masculine est plurimillénaire, que les conflits intergroupes ou interethniques n’ont cessé de rythmer la vie des sociétés humaines, que des rapports de domination ont structuré toutes les sociétés humaines connues, etc., sans pouvoir comprendre les raisons profondes de ces faits. De ce point de vue, la réponse constructiviste apportée par les sciences sociales contemporaines à ces questions reste partielle et peu satisfaisante. Car si tout était une affaire de culture, pourquoi la réalité ne serait pas plus diverse qu’elle ne l’est ?
>
>Sans connaissance de la réalité et des principes qui la gouvernent, il n’y a pas d’émancipation possible. Car seule la connaissance permet d’envisager les moyens culturels de contrecarrer ces forces. Ce n’est pas en niant les lois de la physique que nous sommes parvenus à voler, à aller dans l’espace, à communiquer à distance, à inventer l’électricité, etc.
Bon sang je vais devoir acheter ce bouquin, malgré qu'il me semble se vanter un peu vite d'être précurseur :)
"La lutte, elle, continuera, mais ce sera la lutte collective de l'humanité contre les forces ennemies de la nature".
RépondreSupprimerVoilà l'idée qui conclut ce texte.
Est-ce bien à elle que vous pensiez en affirmant qu'elle n'avait "pas pris une ride" ?
Absolument (même si je sais bien qu'elle n'est guère dans l'air du temps – à double titre). ;-)
SupprimerOn aimerait savoir ce que recouvrent les mots "forces", "ennemies" et "nature" pour Trotsky, et pour toi ! Pour savoir quel est le "niveau de spécificité auquel il faut raisonner" ! Amicalement.
SupprimerBah, je dirais tout simplement que si elle veut vivre du mieux possible, l'humanité doit faire face à un certain nombre de contraintes : trouver de l'énergie, s'alimenter, pourvoir à divers besoins matériels... pour de pas parler des pandémies contre lesquelles il faut trouver des parades ou des rémèdes. Rien de bien surprenant, en fait ! Et la phrase de conclusion a quelque chose d'un truisme : si les problèmes sont devenus mondiaux, il faudra les résoudre à l'échelle mondiale - ce dont une humanité déchirée entre états nationaux et classes sociales antagonistes est bien incapable.
SupprimerÇa je suis d'accord... Mais c'est un peu botter en touche ! Je pensais plus à l'usage des mots "forces", "ennemies" et "nature" en eux-mêmes. "les forces ennemies de la nature", voilà quand même une formule très polysémique qu'on ne lit plus depuis un moment et qui prend une saveur un peu provocatrice à notre époque je trouve, et qu'il serait donc intéressant de discuter !
SupprimerJe ne vois pas vraiment à quoi vous faites allusion. Que cette manière de s'exprimer ne soit pas dans l'air du temps, j'en suis bien d'accord, mais en quoi serait-elle problématique ? (question d'autant plus sincère que vous dites vous-même être d'accord avec le petit commentaire que j'en propose).
SupprimerJe suis d'accord avec le contenu de votre commentaire. Ce qui me pose question, c'est le choix de l'expression de Trotsky. Si je lis quelque part, "les forces amies de la nature", j'ai tendance à vite suspecter un allumé new-age ou un Baptiste Morizot... du coup "les forces ennemies de la nature", c'est guère mieux ! Il y a dans cette expression une dimension de personnalisation mystique qui me semble assez glissante ! Tout le monde ne connaît pas les idées de Trotsky. On est évidemment très loin de la science, c'est pour ça que je demandais à quel est le "niveau de spécificité auquel il faut raisonner" ! En espérant avoir été plus clair...
SupprimerPeut-être que je passe (en toute bonne foi) à côté du problème, mais j'ai vraiment tendance à voir là davantage une question de formulation (voire de traduction) qu'une vraie divergence de fond. J'imagine que ce qui fait question à vos yeux est le terme « ennemies » et non celui de force (la « force de gravité » est un concept banal de la mécanique newtonienne).
SupprimerRemplaçons donc « ennemies » par « contraires » ou « défavorables ». Cela ne lève-t-il pas l'ambiguité que vous percevez ?
Je vous propose l’expérience suivante: écrire un livre qui s’appellerait “L’alliance avec les forces amies de la nature” (ou comment lutter contre les forces ennemies)… je suis prêt à parier que le livre serait placé à côté d’un autre où l’auteur discuterait avec un fleuve, ou bien appellerait les arbres à manifester. Est-ce que c’est plus saisissant comme ça ? Pour l’usage du mot force, dans le cas de la mécanique, la définition est disponible, les forces de la nature, je ne sais pas ce que c’est !
SupprimerFranchement, j'ai le sentiment que vous surinterprétez (et que dans la nature, vous cherchez la petite bête !). Si j'écris à la fin d'un compte-rendu (et non comme un titre de livre) que tel peuple vivait dans une nature (ou un environnement) hostile, vous m'identifiez illico comme une variété d'animiste ?
SupprimerEt on peut peut-être s'en tenir là, parce qu'on a du mal sinon à se comprendre, en tout cas à se convaincre...
Merci pour le partage très intéréssant ! (Curieux de voir vos reflexions/remarques/critiques autour du livre de Lahir)
RépondreSupprimerMerci pour cet article de Trotsky. Même en pleine guerre civile, le vieux ne laissait rien passer.
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