« Classifier la richesse pour classifier les sociétés », une publication dans La Pensée
La seconde partie de mon article sur la richesse est parue dans le dernier numéro de La Pensée (n°414, 2023/2). On peut y accéder sur le portail Cairn (réservé aux abonnés), ou sur simple demande à l'auteur.
Pour tuer d'emblée tout suspense, dans la première partie de l'article, je m'efforçais de définir la richesse. Sur la base des travaux d'Alain Testart (mais aussi, de leur critique) j'avançais qu'il existe deux catégories de richesse, que j'appelais « élémentaire » et « développée ». La première peut exister sans la seconde, mais pas l'inverse.
Cette seconde partie affirme que cette division peut servir de base à une classification générale des sociétés, et plus précisément à la plus fondamentale des répartitions en deux grands ensembles. Le Monde I de Testart, constitué des sociétés que celui-ci appelait de manière un peu trompeuse « sans richesse » est en réalité celui des sociétés à richesse exclusivement élémentaire. Les Mondes II et III sont formés des sociétés dans lesquelles une forme ou une autre de richesse développée est présente .
J'espère que ces cogitations intéresseront quelques esprits curieux - en tout cas, il est frappant de voir à quel point il est difficile de publier ce type d'articles dans les revues spécialisées en anthropologie. Celles-ci n'envisagent semble-t-il même pas qu'on puisse se poser ce type de questions, et pour la très grande majorité d'entre elles, il ne saurait exister de contribution scientifique qui ne soit pas fondée sur un « terrain » nouveau. Mais c'est un autre (et ancien) débat...
Je rappelle également que j'avais répondu aux questions de Stéphane Bonnery dans une vidéo qui peut constituer une instroduction à ces lectures :
« L’anthropologie n’a jamais été capable d’élaborer une classification générale de son objet ». Elle n’en est pas capable ou elle ne cherche pas à le faire, jugeant le projet sans fondement ? La recherche d’une classification (tout comme celle de « lois ») n’a de sens que pour ceux qui ont une certaine conception de la science, de la réalité. C’était le cas de Testart, c’est le tien ; ce n’est manifestement pas le cas de beaucoup (la majorité ?) d’anthropologues.
RépondreSupprimerTu poses la question de la richesse comme détermination du passage du monde II au monde III. Tu caractérises ce dernier par l’apparition des classes (ou sa généralisation ?). Ce n’est pas la caractéristique formelle qu’en donnait Testart. Le monde III est celui du passage de la propriété usufondée à la propriété fondiaire. Il s’agit de la question de la propriété, plus précisément de la propriété foncière. Testart, conscient du problème, subordonnait le traitement plus approfondi de la question à une analyse de la propriété foncière, du même acabit que celle des transferts qu’il avait mené – analyse qui fait (cruellement) défaut. Bien sûr on peut faire intervenir des questions comme celles des umialit mais il s’agit de problèmes marginaux comparés à ceux de la propriété foncière. Ce qui est au fondement de toute la question est celle de l’exploitation. Et le mode essentiel d’exploitation est celui lié à la propriété foncière (j’entends par là toute étendue géographique dont on peut tirer les subsistances nécessaires à l’existence, terres, mer, cours d’eau, etc.). Qu’il existe, à la marge, des modes annexes liés à la possession d’objets matériels ou immatériels (bateau, filet, formule magique, etc.), c’est le cas de toute transition. Il est important d’évaluer leur importance ; la question est alors de déterminer si celle-ci est marginale ou possède un rôle décisif dans la dynamique de l’évolution.
Tout ceci ne retire rien à ton analyse qui reste une des rares tentatives de mener la recherche « sur les épaules » d’un géant.
Hello Momo
SupprimerEn effet, si l'anthropologie n'a pas pu établir une classification satisfaisante, c'est entre autres parce qu'elle a renoncé à cette tâche depuis longtemps - quand elle n'explique pas que ce programme est anti-scientifique (!). Mais au bout du compte, cela revient un peu au même.
Je ne comprends pas bien tes remarques sur monde II - monde III. Je suis convaincu qu'il y a un problème à ce niveau dans la solution de Testart, en particulier parce qu'elle conduit à nier que les sociétés esclavagistes et étatiques africaines étaient des sociétés de classes (cf. ce billet, par exemple, que tu avais commenté : https://www.lahuttedesclasses.net/2022/11/retour-sur-la-definition-des-classes.html). Sauf que sur ce point, j'ai le problème, mais pas la queue de la solution.
Mais tout cela est en-dehors de la question que je traite dans cet article, qui concerne uniquement la délimitation entre monde I et mondes II-III pris globalement. Quand j'aborde le cas des umialit, ce n'est pas pour me demander s'ils sont dans le monde II ou dans le monde III. C'est pour montrer que le critère de Testart concernant la sortie du monde I (présence de prix de la fiancée et/ou wergild), mène en l'occurrence à une conclusion inacceptable - comment une société dominée par des riches pourrrait-elle encore faire partie du monde I ? C'est une contradiction dans les termes, et c'est pour cela que je propose une reformulation qui me semble plus satisfaisante.