Ce que nous enseignent les mythes de domination féminine
J'ai tout juste commencé à me familiariser avec les travaux qui portent sur les mythes et qui en tirent notamment des raisonnements évolutifs tout à fait intéressants. En France, les noms de Jean-Loïc Le Quellec et Julien d'Huy sont incontournables. À l'étranger domine celui du chercheur russe Yuri Berezkin. Celui-ci a notamment constitué une immense base de données en ligne, malheureusement en russe et dont la forme informatique pourrait être largement plus aboutie. La traduire en anglais et la rendre pleinement utilisable (en restituant par exemple pour chaque thème, l'ensemble des citations originelles) serait un travail de titan, mais ô combien utile.
Quoi qu'il en soit, et malgré ses imperfections, cette base est une véritable caverne d'Ali-Baba. Je me suis notamment intéressé aux codes F38 et F39. Le premier correspond au thème selon lequels les femmes, jadis, détenaient les objets et les cultes aujourd'hui réservés aux hommes, et comment ceux-ci les en ont dépossédés. Le second code s'applique aux mythes qui, plus généralement, expliquent que les rôles sociaux des hommes et des femmes étaient autrefois inversés. Faut-il le préciser, l'ensemble de ces récits servaient inévitablement à justifier la domination masculine qui régnait dans les sociétés où ont été recueillis.
L'inventaire qui figure dans la base de données de Y. Berezkin soulève plusieurs difficultés. Pour commencer, les informations sont de natures diverses. Si certaines restituent l'ethnographie originale, d'autres n'en sont que des résumés plus ou moins détaillés et d'autres enfin ne figurent que comme de simples références, sans que ni le texte ni son sens général soient reproduits. Chaque fois que possible (internet fait des miracles, mais il ne les fait pas tous), je suis retourné à la source première ; mais dans bien des cas, il m'a fallu me contenter d'une traduction automatique du russe (langue pour laquelle, de même que quelques autres, j'éprouve parfois quelques légères difficultés de lecture).
Sur un autre plan, les extraits fournis donnent également le sentiment de se rattacher au thème de manière inégale. Certains l'illustrent de manière aussi saisissante qu'imaginative. D'autres sont moins convaincants ; outre le caractère assez abscons de certains récits (il faudrait sans doute se plonger dans l'ensemble de l'univers surnaturel des locuteurs pour mieux en saisir le sens), le codage paraît parfois avoir été attribué sur des bases un peu élastiques.
Quoi qu'il en soit, alors que dans mon Communisme primitif, je n'avais rapporté que cinq de ces mythes, glanés un peu hasard de mes lectures, la base de données de Y. Berezkin me fournit d'un seul coup un magnifique bouquet rempli de fleurs étranges, dont quelques-unes sont reproduites ci-dessous.
Mais au-delà de la simple récolte quantitative, il faut signaler la conclusion, très importante, à laquelle parvient Julien d'Huy. Ainsi que l'expliquait très clairement Jean-Loïc Le Quellec dans cette conférence, la démarche consiste à appliquer les méthodes de la phylogénétique aux motifs élémentaires des mythes (les mythèmes). Tout comme pour les espèces vivantes, le degré de similarité permet de reconstruire la généalogie, et donc d'apporter une dimension temporelle aux données ; au demeurant, cette généalogie des mythes ainsi reconstituée correspond très souvent à ce que l'on sait des migrations humaines, ce qui fournit un élément supplémentaire en faveur de cette approche et de ses résultats.
Concernant plus précisément les mythes faisant état d'une domination féminine originelle et/ou la possession initiale par les femmes des objets et des rites aujourd'hui jalousement masculins, la base de données montre que ces motifs sont très banals et présents sur l'ensemble des continents. Ainsi que le démontre Julien d'Huy dans l'article qu'il a consacré à cette question, une telle dissémination indique une origine extrêmement ancienne, en l'occurrence très probablement antérieure à la migration de sapiens hors du continent africain, il y a environ 60 000 ans.
Ce premier résultat en cache toutefois un autre. Même si Julien d'Huy ne tire pas lui-même explicitement cette conclusion, l'ancienneté des mythes de matriarcat primitif constitue un indice très fort en faveur de l'ancienneté de la domination masculine elle-même. Et ces éléments méritent sans hésitation qu'une place leur soit faite dans la prochaine version du Communisme primitif...
Annexe : quelques mythes de matriarcat primitif
Ibibio (Afrique de l'Ouest)
Autrefois, il y a très longtemps, les femmes Ibibio étaient plus puissantes que les hommes, car elles étaient les seules à connaître les mystères des dieux et des choses secrètes. Grâce à ces connaissances, elles étaient en mesure de garder tous les hommes à leur service et les employaient aux travaux les plus durs. Et si les hommes étaient utiles comme combattants, c'est surtout en raison de la force de leurs membres et de leur plus grande endurance.
Au début, les femmes étaient beaucoup plus nombreuses que les hommes sur la terre, mais après un certain temps, ces derniers commencèrent à se multiplier et, avec le temps, ils devinrent mécontents de leur sort. « Pourquoi, se demandaient-ils, le travail le plus dur devrait-il nous revenir, et sommes-nous dominés par les femmes ? Leurs corps sont pourtant plus faibles que les nôtres ! » À cela, d'autres répondirent : « Tant que le savoir secret leur appartient, nous ne pourrons jamais les vaincre ». Ainsi, les hommes chuchotaient entre eux, cherchant un moyen de se libérer du joug des femmes.
Puis, un jour, il y a très longtemps, les gens d'Oduko sont sortis pour combattre ceux d'Urua Eye, qu'ils ont vaincus après une lutte acharnée et chassés dans la brousse. Les vainqueurs commencèrent à brûler la ville, mais dans une maison construite pour servir de lieu de réunion à l'une des sociétés secrètes féminines, ils trouvèrent des masques et d'étranges fétiches abandonnés, ainsi que des robes à franges et tout ce qui était nécessaire à l'accomplissement des rites du terrible culte Ekkpo Njawhaw (les fantômes - les destructeurs). Les guerriers rapportèrent ces objets dans leur ville et les montrèrent aux vieillards qui, selon notre coutume, restent toujours à la maison en temps de guerre. Ils discutèrent longtemps de la signification de ces objets et de leurs pouvoirs cachés. Pourtant, de tout ce qu'ils voulaient savoir, ils ne pouvaient rien deviner. Alors un vieil homme très sage dit :
« Réunissons une offrande de chèvres et de vin de palme et portons-la aux femmes, en les suppliant de nous enseigner les mystères afin que nous puissions aussi les connaître et devenir forts. »
Tous acceptèrent et un grand festin fut organisé. Puis, après qu'ils eurent mangé et bu ensemble, ce vieil homme, le rusé, s'éloigna avec certaines des femmes les plus âgées, dont celles qui étaient les chefs, et leur déclara habilement :
« Il vaut mieux nous dire la raison d'être d'Ekkpo Njawhaw, et nous enseigner les rites du culte, car tous les hommes de cette ville veulent se joindre aux femmes dans cette affaire, afin qu'ensemble notre peuple devienne plus fort que tous les autres. »
La grande prêtresse dit alors à une autre vieille femme d'Oduko :
« Réunissons-nous sans les hommes pour que les femmes puissent débattre seules et en secret sur cette question. (...) nos pas devraient être doux et lents sur cette nouvelle route où les hommes cherchent à nous conduire. »
À cela, la seconde vieille femme répondit :
« Pour ma part, j'y suis tout à fait opposée. Je ne veux pas enseigner nos mystères aux hommes, car je pense qu'ils cherchent à nous tromper, et souhaitent nous enlever Ekkpo Njawhaw afin que nous ne puissions plus les gouverner. »
Alors ces deux sages parlèrent aux femmes plus jeunes et dirent : « Nous ne donnerons aux hommes aucun rôle dans notre société ». Mais les autres leur crièrent dessus, disant qu'elles étaient folles et trop lentes, qu'elles ne se souciaient que du passé et ne pensaient pas au lendemain. Finalement, les jeunes femmes déclarèrent :
« Il est bon que les hommes sachent ces choses. Ne sont-ils pas nos propres maris, qui nous ont toujours servis ? Pourquoi, dès lors, devrions-nous leur cacher ces secrets ? »
Ainsi, par des propos bruyants et enthousiastes, elles battirent en brèche les conseils des anciennes voulaient les dissuader, jusqu'à ce que celles-ci disent :
« Qu'il en soit comme vous le souhaitez, puisque vous choisissez de ne pas écouter, nous n'en dirons pas plus. Néanmoins, nous savons que lorsque les hommes auront appris les secrets, ils nous enlèveront Ekkpo Njawhaw afin que nous ne puissions plus jamais les gouverner comme auparavant. »
Les jeunes femmes expliquèrent alors aux hommes tous les mystères du culte, avec les rites complets et tous les secrets grâce auxquels ils avaient autrefois dominé. Ensuite, les hommes convoquèrent une grande réunion et annoncèrent :
« Désormais, si une femme essaie de participer au rite d'Ekkpo Njawhaw, les hommes la conduiront sur la place du marché et lui couperont la tête devant tout le monde. »
En entendant cela, les femmes étaient affligées de ce qu'elles avaient fait, mais elles n'osaient pas désobéir, car les hommes étaient plus forts qu'elles et aussi très cruels. Seules les deux vieilles femmes qui n'avaient pas accepté de raconter les secrets dirent :
« Nous n'avons jamais voulu ouvrir ces mystères aux hommes, nous continuerons donc à accomplir les nos rites seules pour nous-mêmes comme avant ». À cela, les hommes répondirent :
« Si une femme accomplit à nouveau Ekkpo Njawhaw, elle sera attachée à un poteau sur la place du marché et décapitée devant tous les habitants de la ville, afin que les autres femmes puissent constater quel est son sort et apprendre à ne plus le faire ».
Malgré cela, les vieilles femmes continuèrent à pratiquer les rites comme auparavant, cachées dans la brousse dans un endroit secret qu'elles avaient aménagé. Après de longues recherches, les hommes les trouvèrent et les emmenèrent sur la place du marché d'Oduko où elles furent décapitées sous les yeux des femmes tremblantes.
C'est la raison pour laquelle seuls les hommes peuvent participer aux rites d'Ekkpo Njawhaw, ou même y assister.
Xingu (Amazonie), O. et C. Villas Boas, Xingu, the Indians, their myths, p. 119-121
Les femmes Iamuricumá jouaient d'une flûte appelée le jakui. Elles jouaient, dansaient et chantaient tous les jours. La nuit, la danse se déroulait à l'intérieur du tapãim [maison de la flûte], afin que les hommes ne puissent pas voir. Les flûtes étaient interdites aux hommes. Lorsque la cérémonie avait lieu le jour, à l'extérieur du tapãim, les hommes devaient s'enfermer à l'intérieur. Seules les femmes étaient autorisées à sortir, à jouer, à chanter et à danser, à se parer de colliers, de coiffes en plumes, de brassards et d'autres ornements que seuls les hommes portent aujourd'hui. Si un homme voyait par hasard le jakui, les femmes l'attrapaient immédiatement et le violaient. Le Soleil et la Lune ne savaient rien de tout cela, mais dans leur village, ils entendaient toujours les chants et les cris des femmes Iamuricumá.
Un jour, la Lune déclara qu'ils devaient aller voir ce que faisaient les Iamuricumá. (...) Ils s'approchèrent du village mais restèrent un peu à l'écart, à regarder. La Lune n'aimait pas voir les mouvements des femmes : les vieilles jouant du curutá et dansant, d'autres jouant du jakui, d'autres encore criant et riant aux éclats. Pour avoir une meilleure vue, le Soleil et la Lune pénétrèrent dans le village. Les femmes étaient en train de faire une fête.
Comme le Soleil et la Lune s'approchaient, la cheffe des femmes intima à ses gens : « Ne dites rien, ou ils vont nous faire quelque chose. » Dès qu'ils arrivèrent, le Soleil dit à la Lune : « Je ne supporte pas d'entendre des femmes jouer du jakui. Cela ne peut plus durer ».
Ils discutèrent alors de la façon de résoudre le problème, et le Soleil dit à la Lune : « Fabriquons un hori-hori [rhombe] pour faire fuir les femmes ».
— Faisons-le, et arrêtons cette chose. C'est épouvantable ».
Sur ce, ils partirent pour fabriquer le hori-horí. Cela leur prit une journée entière. Lorsque le rhombe fut prêt, la Lune demanda qui s'en servirait pour attaquer les femmes, afin de les effrayer.
« Laisse-moi le prendre », dit le Soleil.
Il commença alors à se parer de brassards de plumes, de coiffes et d'autres choses. Après s'être complètement couvert, il partit en direction des femmes Iamuricumá. La Lune attendait dans le village. Lorsqu'il fut à proximité, le Soleil commença à faire tournoyer son gigantesque rhombe au-dessus de sa tête. Les femmes continuaient à danser, mais elles commençaient à être effrayées par le rugissement qui approchait. Quand elles se retournèrent et virent le Soleil pousser son effrayant rugissement horí-horí, elles furent terrifiées. La Lune cria aux femmes de rentrer dans leurs maisons. Aussitôt, elles abandonnèrent tout et coururent à l'intérieur. Les hommes, à leur tour, sortirent de leurs maisons en criant de joie et saisirent le jakui. Voyant ce qui se passait, la Lune dit : « Maintenant tout va bien. Ce sont les hommes qui joueront du jakui, pas les femmes ».
À ce moment précis, les hommes se mirent à jouer et à danser à la place des femmes. Une des femmes, qui avait oublié quelque chose au milieu du village, leur demanda de l'intérieur de sa maison de le lui apporter. Quand la Lune vit cela, elle dit : « Désormais, il en sera toujours ainsi. C'est la bonne façon de faire. Les femmes doivent rester à l'intérieur, pas les hommes. Elles seront enfermées quand les hommes danseront le jakui. Elles ne doivent pas sortir, elles ne doivent pas regarder. Les femmes ne doivent pas voir le rhombe, parce qu'il est le compagnon du jakui ».
Les hommes apprirent tout ce que les femmes Iamuricumá avaient su : la musique du jakui, ses chants et ses danses. Au début, seules les femmes connaissaient ces choses.
Kikuyu (Afrique bantoue), Belcher 2008
Le temps passa et les générations se multiplièrent. Gikuyu et Mumbi moururent, laissant derrière eux de nombreux petits-enfants et arrière-petits-enfants. Les femmes, par qui la descendance était tracée, continuèrent à gouverner.
On dit, cependant, que leur règne devint oppressif et injuste. Elles menaient des guerres inutiles et ne se contentaient pas d'un seul mari, tout en exécutant les hommes qui commettaient l'adultère. Les hommes étaient continuellement humiliés, ils s'indignèrent et complotèrent une rébellion contre les femmes. Cela n'était pas facile, car à cette époque les femmes étaient plus fortes que les hommes, et elles étaient plus habiles avec les armes de guerre. Ainsi, après réflexion, les hommes décidèrent que leur révolte ne pourrait réussir que si les femmes étaient toutes enceintes. Ils fixèrent un moment où ils concentreraient leurs efforts, puis ils passèrent à l'acte, faisant tout ce qu'ils pouvaient pour plaire aux femmes et les amener dans leur lit, et les femmes étaient satisfaites de ces attentions et acceptaient, sans se rendre compte que c'était le plan des hommes.
Les hommes attendirent alors six ou sept mois, pour voir les résultats de leurs premiers efforts, et ils ne furent pas déçus : la plupart des femmes étaient enceintes, immobilisées par le stade avancé de leur état. Les hommes révoltèrent alors, et les femmes ne purent pas résister. Les hommes devinrent les chefs de famille, et la polyandrie céda la place au nouveau système de polygynie dans lequel un mari avait plusieurs femmes.
Darasa (aka Gedeo, actuelle Ethopie), Belcher 2005
Dans les premiers temps de Darasa, il y avait très peu de femmes, et les hommes étaient donc obligés d'accomplir toutes les tâches ménagères : ils allaient chercher le bois de chauffage, puisaient l'eau et entretenaient les jardins, un travail qui est maintenant effectué par les femmes. Les souverains étaient des femmes, les fonctionnaires étaient des femmes.
La dernière reine chez les Darasa s'appelait Ako Manoya. Elle n'avait pas désigné d'héritier parmi ses sujets, bien qu'elle fut sans enfant. Elle gouvernait seule, donnant des ordres aux fonctionnaires, écoutant leurs rapports et inspectant leurs travaux. Pendant ce temps, les hommes commençaient à se plaindre de leurs tâches et de la façon dont ils étaient forcés de servir les femmes. Le chef des hommes était marié ; il avait une belle femme. Mais il avait aussi une maîtresse, et celle-ci révéla sa déloyauté à la reine. La reine convoqua l'épouse et lui dit qu'elle savait comment son mari subvertissait les hommes et complotait contre son règne.
« Il doit mourir, dit Ako Manoya. C'est à toi de décider de quelle manière. Si tu m'apportes sa tête, je ferai de toi mon héritière et tu régneras après moi ».
Ce soir-là, la femme servit un grand repas à son mari, si bien qu'il s'endormit après le dîner. Puis elle prit un couteau dans la cuisine et lui coupa la gorge, et quand il fut mort, elle lui coupa la tête. Le matin, elle apporta la tête à la reine et fut nommée héritière présomptive du royaume.
La perte de leur chef découragea les hommes pendant un temps, mais ils se réorganisèrent. Ils décidèrent que la reine devait mourir, et ils choisirent le moment, le lieu et les moyens. La reine devait quitter la ville pour un festival, ils le savaient, et ils creusèrent donc une fosse le long de la route – un piège mortel. Ils recouvrirent la fosse de branches et de feuilles, puis répandirent de la terre et de l'argile sur les feuilles. Lorsque le jour arriva et que la reine quitta la ville, les hommes se pressèrent autour d'elle sur la route, si bien qu'elle fut obligée de marcher sur la fosse, et elle tomba dedans.
Furieuse, elle prononça ses dernières paroles : elle serait la dernière reine du pays. Puis les hommes l'enterrèrent dans la fosse. Ils voulurent aussi lapider l'héritière, la jeune femme, mais elle grimpa dans un arbre et s'y accrocha, et au lieu de cela, ils la tuèrent à coups de lance. Depuis ce temps, les hommes ont régné.
Parenga (Inde), Elwin 1954
Autrefois, il y a longtemps, les femmes avaient trois poils sur la langue. Elles avaient des défenses comme celles d'un sanglier, et quand elles parlaient, personne ne pouvait les comprendre. Si une femme se mettait en colère contre son mari, elle pouvait le tuer avec ses défenses. Et donc à cette époque les maris avaient peur de leurs femmes, tout comme aujourd'hui les femmes ont peur de leurs maris.
Ispur Mahaprabhu pensait. « Il n'est pas bon que les femmes dominent le monde de cette façon ». Il vint dans le monde du milieu et trouva des hommes et des femmes qui dormaient ensemble, il arracha les poils de leurs langues et les défenses de leurs bouches. Il jeta les défenses et le sanglier les ramassa et depuis, il les a gardées. Les trois poils se transformèrent en serpents, en lézards et en anguilles. Mahaprabhu donna aux femmes des dents faites avec les graines d'une calebasse.
Le matin, à leur réveil, les hommes furent effrayés par leurs femmes car elles avaient l'air différentes et ils s'enfuirent du village. Mais Mahaprabhu vint sous la forme d'un vieux brahmane et dit : « N'ayez pas peur. C'est moi qui ai fait cela. À partir de maintenant, c'est le mari qui dirigera le foyer ».
Yana (Californie), Sapir 1910, n° 6 : 88
Les femmes (qui jadis, étaient des hommes) allaient à la chasse au cerf mais revenaient à la maison sans avoir rien tué. Les femmes, (les hommes d'aujourd'hui), restaient à la maison, fabriquant de la farine et du pain de gland. De nouveau, les hommes partaient à la chasse au cerf, mais ne parvenaient pas à en tuer. Quand le soleil se leva à l'Est, les femmes avaient fini de piler les glands. Elles n'avaient tué qu'un seul cerf. Il y avait trente hommes, et de même trente femmes. Le peuple n'avait pas de viande fraîche à manger, car aucun cerf n'avait été tué par les hommes. L'écureuil gris et le lapin à queue blanche se dirent l'un à l'autre : « Cela ne va pas. Que faire ? ». Les femmes dirent : « Les hommes n'ont tué aucun cerf. » « Faisons des hommes avec ces femmes. Oui ! » Les hommes revinrent à la maison. Les hommes étaient en colère, et fouettèrent leurs femmes. « Cela ne va pas. Faisons des femmes avec les hommes, et des hommes avec les femmes ».
Au lever du jour, ils partirent à la chasse au cerf. À l'est, quelqu'un construisait un feu sur le sol. Les hommes arrivèrent, chassant le cerf. Celui qui construisait le feu s'assit là. Il prit des pierres rondes et lisses et les mit dans le feu. Ceux qui chassaient le cerf s'assirent en cercle autour du feu. Cette personne était également assise là, mais les hommes ne voyaient pas le feu, ne voyaient pas les pierres. Soudain, les pierres se détachèrent du feu. Elles jaillirent dans toutes les directions. « Merde ! » dirent ceux qui avaient été jusque-là des hommes, qui étaient là en grand nombre. Leurs parties intimes étaient fendues par les pierres qui éclataient.
« Faisons des hommes de ceux qui sont là ». Il en fut ainsi, et ils devinrent à présent des hommes, tandis que ceux qui avaient été auparavant des hommes étaient maintenant devenus des femmes. Maintenant, elles restaient à la maison, broyant des glands et en faisant du pain. Les hommes partirent à la chasse et tuèrent beaucoup de cerfs. Le lapin de garenne se tenait là et dit : « Héhéhé ! Oui ! Maintenant c'est bon. C'est bon », en les regardant pendant qu'ils tuaient des cerfs. Les femmes faisaient du pain de glands et pilaient les glands.
Hello,
RépondreSupprimerJ'avoue que je ne comprends pas trop la méthode phylogénétique développée par Julien d'Huy. A priori, pour dessiner des arbres généalogiques à partir des distances génétiques entre populations, on part de l'idée que le taux de mutation est relativement stable dans le temps. Mais ce n'est probablement pas vrai dans le domaine culturel : il y a des périodes de grande continuité et des périodes de profonds bouleversements. Alors, la distance entre les mythes de deux populations A et B ne peut permettre de conclure à l'ancienneté de la séparation entre A et B.
Je ne suis pas spécialement compétent sur les aspects techniques de cette méthode. Sauf erreur, celle-ci ne se propose pas d'estimer des durées temporelles, mais simplement de reconstituer des arbres évolutifs en évaluant les degrés de ressemblance (et là encore sauf erreur, c'est la même chose en ce qui concerne la méthode phylogénétique appliquée au vivant). L'estimation de la dimension temporelle, dans les deux cas, vient d'un élément extérieur. Pour les mythes, la méthode prétend uniquement identifier les éléments qui étaient présents chez les sapiens avant qu'ils ne se dispersent sur des distances qui interdisent le contact et la transmission. Comme on sait par ailleurs que cette dispersion à partir de l'Afrique remonte en gros à 50 000 ans, tout élément partagé par l'ensemble des sapiens contemporains est a priori antérieur à cette date.
SupprimerOui, mais reconstituer un arbre évolutif nécessite de dire « A et B se sont séparées plus tardivement que C ne s'est séparé des ancêtres de (A+B) ». Il y a donc bien une notion de datation relative, et je ne vois pas comment on l'obtient en mesurant la différence entre les mythes (pour les raisons que j'ai expliquées plus haut). B et C peuvent sembler proches par leurs mythes alors qu'elles se sont séparées il y a longtemps, à l'inverse les mythes de A peuvent avoir dérivé fortement depuis sa séparation tardive avec B.
SupprimerJ'avais signalé en 2021 ce déjà vieil article de L Fièvre à propos de D'Huy et Le Quellec : https://iconoconte.hypotheses.org/709. Article bienveillant, mais qui pointe les problèmes (méthodo)logiques que j'ai évoqués. Marc Guillaumie.
SupprimerBonjour,
RépondreSupprimerabonné à votre blog, vos réflexions accompagnent les miennes depuis quelques années. Et la rareté de mes interventions ne témoigne pas d'un manque d'intérêt pour vos recherches, mais mon emploi d'ouvrier agricole ne me laisse que peu de temps de "travail libre" pour creuser les questions qui m'interpellent ... Franchement, je n'y arrive pas et j'ai toujours au moins deux métros de retard (enfin, quand je dis "métro", il s'agit en fait du bus qui dessert, une fois par jour, la ville la plus proche.)
Bref, allons au fait : la méthode d'analyse des mythes, empruntée à la biologie, et les résultats qu'elle produit, entérinent l'idée que les lois de l'évolution biologique et celles de l'évolution sociale seraient, sinon identiques, du moins comparables. J'y vois, pour ma part, la partie émergée d'un continent qui mériterait d'être exploré - ce que la division académique des disciplines scientifiques ne permet pas aujourd'hui, puisque les sciences du vivant et les sciences sociales se trouvent soigneusement isolées les unes des autres, ne serait-ce que par leurs lexiques respectifs : il me semble difficile de penser le "social" autrement qu'en continuité avec le "vivant", je ne connais aucune espèce de mammifères où l'on ne puisse observer ce qui, d'évidence, constitue des "rapports sociaux".
Ceci posé, concernant cette espèce particulière qui nous préoccupe - l'espèce humaine -, il me semble qu'elle possède une caractéristique biologique particulière - qu'elle ne partage qu'avec les orques, espèce de mammifères marins -, dont il serait fort douteux qu'elle soit sans conséquences structurantes sur l'évolution des formes sociales qu'a connues notre espèce, jusqu'à l'invention des EHPAD : la ménopause.
En effet, et il s'agit d'une caractéristique très rare chez les mammifères, passé un certain âge, les femelles de notre espèce ne sont plus "disponibles pour la reproduction" alors qu'il leur reste encore de (très) nombreuses années à vivre. Je suis surpris que cette particularité - qu'un "matérialisme" conséquent ne saurait ignorer - ne soit jamais prise en compte dans les réflexions, tant sur la division sexuée du travail que sur les rapports de domination entre hommes et femmes.
Où se situent, dans les modèles théoriques des un-e-s et des autres, ces femmes qui sont dépositaires d'une longue expérience de vie, de travail, de chasse, de cueillette, d'éducation, de soin - et que sais-je encore ? -, mais qui n'enfantent plus ni ne perdent plus de sang ? Sont-elles encore considérées comme des femmes par leurs sociétés ? Est-il possible d'évaluer leur poids démographique comme modulateur de leur importance sociale ? Des tâches "masculines" leurs devenaient-elles accessibles ? Et, si oui, lesquelles ?
Je pense qu'il y a là toutes une série - non exhaustive - de questions qui mériteraient d'être explorées. Est-il absolument inenvisageable que, ni homme ni plus vraiment "femme", elles aient pu constituer comme un "troisième genre", susceptible d'emprunter les leurs aux deux autres, voire même exerçant des prérogatives qui leur seraient exclusives ? Certains des mythes rapportés semblent apporter un peu d'eau à mon moulin ... N'étaient-elles vraiment que des "vieilles femmes" ? J'en doute. Au minimum, elles restaient des "mères", qui avaient forcément une influence sur la constitution des lignages. Je mesure bien que ma proposition invite à une reformulation de tous les modèles en vigueur, mais la "complexité" est à la mode, non ?
Il y a pas mal de travaux plus ou moins récents qui se penchent sur le rôle des "grands-mères". La tendance actuelle tend à leur donner un rôle croissant dans l'éducation des enfants, la transmission de la culture, etc.
RépondreSupprimerDe mémoire il y a des articles très intéressants sur le blog https://anthropogoniques.com/
L'article de Julien D'Huy expose une approche très séduisante, qui est une Nième tentative pour naturaliser ou biologiser les mythes. Elle me fait penser à cette déclaration liminaire du lamarckien Félix Le Dantec, jadis, quand il exposait sa pensée sociale : "J'ai voulu tout tirer de la Biologie." (L'Egoïsme, 1911).
Supprimer"Myths are not genes", nous prévient D'Huy (p. 160). Mais il semble vite oublier cette précaution oratoire, et il n'emploie, dans son article, que des modèles et un vocabulaire empruntés à la biologie évolutive ("convergence", etc.). Juste un détail, qui devrait pourtant interroger sur cette biologisation des mythes : à la différence des organismes vivants, les mythes s'influencent les uns les autres. Ils ne "descendent" pas plus d'un "ancêtre" commun que les langues, par exemple, ne "descendent" d'une langue "mère", comme on le croyait au XIXe siècle.
La théorie de D'Huy a l'air de coller avec les connaissances (ou les suppositions les plus raisonnables) de l'archéologie et de la génétique, sur les migrations humaines dans le passé. Et quand ça ne colle pas, D'Huy peut toujours modifier ces connaissances ou suppositions : "The place of western Africa could be explained by an early Back-to-Africa, or by an influence of the more northern regions, themselves bound to the Mediterranean culture." (p. 162). Ainsi la théorie A conforte la théorie B... et inversement : B suggère de modifier A pour que l'ensemble reste "solide".
"[...] the result of the phylogenetic method is very strong" puisque l'arbre des histoires de domination féminine est vérifié par l'arbre des histoires de serpents ou de dragons... Et Mélusine, alors ? Histoire de pouvoir féminin, ou histoire de serpent ?
J'ai l'air de ricaner, mais, encore une fois : D'Huy est très intéressant. Pourtant, il y a comme un problème logique. D'ailleurs, ce problème apparaît aussi à la lecture de son ami Jean-Loïc Le Quellec, dans ses articles du numéro spécial du Monde consacré au "grands mythes fondateurs" : la question de savoir de quoi on parle exactement.
Il ne me reste plus qu'à faire comme Christophe Darmangeat : retourner à la source (Yuri Berezkin). Prendre un outil de traduction du russe, et voir comment Berezkin définit mythes, mythèmes, et motifs. Et surtout quels critères sont ceux de sa recension des mythes.
Marc Guillaumie.
La "biologisation" est à mon humble avis de non-spécialiste un trompe-l'oeil, dans la mesure où il peut être légitime de transposer des techniques de statistique ( Ce que sont en fait les élaborations des arbres phylogénétiques) d'un champ à un autre. Rappelons que les objets sur lesquels D'Huy a appliqué ces arbres ne sont pas les mythes eux-mêmes, mais les plus petites unités narratives possibles qui aient un sens, les motifs. C'est leur assemblage, leur combinaison et (éventuellement) l'ordre de leur succession qui constitue le corpus du récit du mythe.Et ces motifs,on sait les dégager et les classer depuis longtemps, les regrouper par thèmes, et miracle! on s'est avisé qu'ils sont,sinon universels, du moins très largement partagés par l'humanité tout entière. Evidemment, il n'est pas question de nier la possibilité d'innovations , d'ailleurs celles-ci pourraient aussi être l'objet de travaux similaires (si ce n'est déjà fait), et le sens même d'un mythe pourrait être très différent avec ou sans leur ajout.
SupprimerQuant aux possibles incohérences logiques, elles existent aussi dans la phylogénie des gènes...Et je pense que c'est une maladresse assez répandue dans la littérature scientifique que de proposer des solutions hypothétiques ad hoc à des situations contradictoires ou irrésolues en leur temps, sans attendre de nouvelles recherches. Mais ça ne coûte rien de proposer des pistes ou des intuitions, dussent-elles être un peu tirées par les cheveux... l'aveu d'ignorance en est un peu atténué.
D'après ce que j'ai lu un peu partout, le travail de Berezkin est par son ampleur largement perfectible, et je trouve étonnant qu'il n'y ait pas de traduction (même en anglais) disponible, sachant par ailleurs que les scientifiques de ce domaine sont largement russophones (ou Russes...). Je trouve bien sûr très intéressant que mon blogueur préféré ait l'intention de se servir de ces travaux (ainsi que de ceux de D'Huy et Le Quellec). Après tout, c'est tout ce qui nous reste d'accessible de la pensée de nos lointains ancêtres, incarnée génération après génération.
Je ne peux pas répondre à tout ce qui s'est écrit ci-dessus (non que ce soit dénué d'ntérêt, tout au contraire, mais faute de temps). En deux mots : appliquer les mêmes techniques quantitatives à des objets différents ne signifie pas qu'on considère que ces objets sont par ailleurs de même nature, et la reconstruction de l'arbre évolutif tombe je crois dans cette catégorie.
SupprimerLa principale question, à mes yeux, est double :
– à partir de quand consière-t-on que deux mythèmes sont similaires ou différents ? La plus ou moins grande largesse de cette décision peut, je crois, influencer le résultat.
– la gamme des variations d'un thème donnée est-elle suffisamment large pour que la similarité soit plus probablement le fruit d'une diffusion que d'une convergence ?
Je n'ai pas de réponse a priori à ces questions, mais connaissant la rigueur habituelle de Jean-Loïc Le Quellec, j'ai du mal à imaginer que Julien d'Huy et lui aient pu les traiter avec légèreté. De toute façon, je compte bien me familiariser davantage avec tout cela et me faire un avis plus motivé.
Quant à reprendre la base de données de Berezkin, à la mettre au propre et à la rendre réellement consultable et utilisable, j'ai moi aussi eu cette idée. Mais nettoyer les écuries d'Augias est un travail de demi-dieu... ou de toute une équipe, qu'il faudrait recruter, encadrer et financer. On y réfléchit...