Un débat ensorcelant
Le succès de librairie du récent livre de Mona Chollet, Sorcières : la puissance invaincue des femmes, qui s'appuie en partie sur le célèbre Caliban et la sorcière de S. Federici, a poussé Médiapart à organiser un débat sous la houlette de Jade Lindgaard. Outre l'auteure, étaient invitées Catherine Kikuchi, une historienne médiéviste, et Camille Ducellier, qui revendique la qualification de « sorcière » et qui vient de publier rien moins qu'un Guide pratique du féminisme divinatoire (sic).
Nous recommandons bien sûr la réjouissante intervention de Catherine Kikuchi, qui déploie plusieurs excellents arguments contre l'ouvrage de S. Federici. Foin de fausse modestie, nous prenons acte des compliments qu'elle adresse à la critique que Yann Kindo et moi-même en avions écrite, et que Mona Chollet avait balayée de quelques attaques ad hominem.
D'une manière plus surréaliste (mais, hélas, significative), on relèvera également le respect et la gravité avec lesquels sont traitées les élucubrations de la « sorcière » invitée. Cela, à soi seul, illustre le type de délires auxquels les développements de S. Federici et de M. Chollet ouvrent complaisamment la porte, et l'impérieuse nécessité de la défense de la science et de la raison qui animait notre critique. Répétons-le donc : nous avons la faiblesse de penser que la cause féministe mérite mieux que la promotion du dialogue intérieur avec les arbres, des voyages astraux et des incantations cabalistiques.
La question est : faut-il discuter sérieusement avec des gens pas sérieux ? :)
RépondreSupprimerDiscuter sérieusement, pourquoi pas. Leur servir gentiment la soupe (cuite au chaudron ou non), jamais !
Supprimerà part le délire ésotérique, comme imaginaire je préférerais (si j'étais femme ou féministe) la sorcière à la fée ou la princesse. Pour le rôle qu'elles ont joué en faveur des soins aux femmes - avortement, contraception, médecine sommaire, etc). Ceci dit, jeter un sort au capitalisme ou même au patriarcat, c'est charmant, et à la veille de Halloween, c'est du bon théâtre mais pas plus.
RépondreSupprimerEst-ce que le phénomène historique ne mérite pas d'être considérablement relativisé ? Les intervenantes de l'émission semblent accréditer l'idée d'un nombre de morts énorme, mais c'est sur l'ensemble du continent européen sur une durée très longue. D'après Wikipédia, il s'agit d'« en moyenne quelques individus par an, dans un pays comme la France », dans une société par ailleurs très violente. Finalement, la chasse aux sorcières est importante en tant que phénomène social et révélatrice des mentalités, mais sur le plan démographique elle paraît anecdotique.
RépondreSupprimerC'est vrai que la question mérite d'être posée. J'ai la flemme de revérifier, mais de tête, la chasse aux sorcières, c'est 100 000 procès dans l'estimation la plus haute, soit environ 75 000 exécutions, sur toute l'Europe, et sur au moins un siècle. C'est en même temps énorme et pas tant que cela, à une époque où la vie humaine ne coûtait souvent pas cher – j'ai lu que ce nombre correspondait par exemple aux exécutions judiciaires en Angleterre, sous le règne du seul Henri VIII ! Alors, que la chasse aux sorcières ait correspondu à un climat de répression, voire de terreur (et sans doute, avec des pics concentrés dans certains régions et certaines époques), c'est certain. Mais il faudrait en effet être capable de prendre la mesure de ces événements, et de les rapporter au contexte général. Une nuance pour finir : ce n'est pas parce qu'un événement est anecdotique à l'échelle démographique qu'il n'a pas pu avoir un impact profond sur le plan politique ou social... (le premier exemple qui me vient est la répression de la Commune de Paris).
SupprimerEt sinon, à propos du dialogue intérieur et des incantations cabalistiques (« jeter un sort » au capitalisme ou au patriarcat), j'ai l'impression que cela procède d'un phénomène plus général de déréalisation des conflits politiques à gauche, qui donne des slogans du style « rêve général » ou « je lutte des classes ». L'interview elle-même évoque une porosité entre féminisme, spiritualisme et développement personnel (phénomène que Mona Chollet trouve « intéressant », sans préciser si c'est sur le plan sociologique ou si elle pense qu'il s'agit d'une évolution prometteuse).
RépondreSupprimerTout à fait. A défaut de se sentir capable de vaincre dans les faits, on s'invente un monde imaginaire où l'on terrassera l'adversaire. Et défense de le faire remarquer, cela ferait trop de peine à ceux (ou celles) qui y croient et y trouvent une consolation.
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