Sur les écrans : Tanna (B.Dean et M.Butler, 2016)
Roméo et Juliette aux Vanuatu |
Les films de fiction à caractère ethnographique sont plutôt rares, et je n'ai donc pas manqué cette sortie récente, dont l'action se déroule dans les années 1980, dans l'île de Tanna, tout au sud de l'archipel mélanésien des Vanuatu. L'argument tourne autour de la rivalité de deux groupes, qui se solde par des morts et des vendettas que rien ne semble pouvoir éteindre. Rien sauf, sous l'égide d'un troisième groupe jouant le rôle du pacificateur, le don mutuel d'un porc et la conclusion de deux intermariages, comme il est de tradition. Oui mais... la future mariée n'a d'yeux que pour le petit-fils du chef de son propre groupe, et n'envisage nullement de se soumettre à la loi tribale.
Les groupes dépeints ici vivent d'un peu d'horticulture et d'élevage (ils ont quelques porcs) ; la chasse et la pêche complètent leur approvisionnement. Les villages comptent manifestement quelques dizaines d'individus. L'Occident est là, tout autour : il se manifeste par les machettes de métal, omniprésentes ; par le village chrétien, en contrebas ; et par une scène aussi surréaliste que réussie, où il est question du couple royal de Grande-Bretagne. Mais les protagonistes sont, sinon des réfugiés, du moins des résistants. Ils vivent à l'écart, tentant de préserver non sans fierté ce qui reste de leur coutume. Il est difficile de deviner si ce mode de vie reflète celui qui était le leur avant l'arrivée des colonisateurs, ou s'il est le produit d'une régression.
Du point de vue de l'information ethnographique, Tanna n'est pas un grand film. Moins que dans Un homme nommé Cheval, Atanarjuat ou 150 lances, 10 canoës et 3 épouses, par exemple, on a le sentiment de découvrir avec un peu de finesse certaines logiques sociales. Si certaines scènes touchent par leur esthétique, et si la petite Selin crève littéralement l'écran, on reste en partie sur sa faim. On comprend certes que dans cette société, tout en vivant modestement, les gens n'ont pas l'air de souffrir du besoin, qu'ils oscillent entre l'aspiration à la paix et la logique du feud, que la séparation entre les sexes est rigoureusement marquée, que les mariages y sont exogames et décidés par les chefs, et que ceux-ci peuvent, en certaines occasions, modifier les règles de droit. Mais on a l'impression que quelque chose d'important nous échappe, et que des éléments importants du puzzle sont manquants : comment, en fonction de quelle logique, les chefs choisissent-ils les célibataires à unir ? Les mariages donnent-ils lieu à des paiements en biens ? Et sur quelle base, de parenté ou autre, la position de ces chefs se fonde-t-elle ? Toutes ces questions, et sans doute bien d'autres, restent malheureusement sans réponse.
Il n'en demeure pas moins que Tanna est un film plaisant et que, malgré ses limites, il apporte beaucoup. Par la beauté des paysages, en particulier du volcan, autour duquel s'organise l'action ; par la sincérité de ses acteurs. Mais par-dessus tout, par la proximité qu'il nous offre avec ces gens qui vivent dans une société aux logiques pourtant si éloignées de la nôtre. Le protagonistes se meuvent dans un univers social qui nous est totalement étranger ; mais on comprend leurs choix, leurs hésitations, leurs aspirations, leur désir de bonheur ou leur crainte de perdre la face. Leurs sentiments, leurs stratégies sociales, leurs calculs politiques mêmes, nous sont rendus accessibles. Cela, à sois seul, justifie d'aller le voir.
Pour en savoir plus :
- Wikipedia consacre une page à l'île de Tanna
- Le livre de Joël Bonnemaison, Gens de pirogue et gens de la terre (1996), qui semble donner une information très complète et très claire sur les sociétés des Vanuatu, est en libre téléchargement.
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