Une visite au Musée des Confluences (Lyon)
L'été a été propice à diverses découvertes de musées, dont certaines m'ont semblé mériter un petit compte-rendu. Mes billets suivront donc l'ordre chronologique de mes visites, et commenceront par le Musée des Confluences, ouvert à Lyon il y a moins de deux ans.
Je ne savais pas vraiment à quoi m'attendre en me rendant dans le Musée des Confluences, sinon qu'une connaissance locale m'en avait parlé favorablement. Extérieurement, le bâtiment sacrifie aux tendances actuelles, en proposant des formes un peu déstructurées. Ce n'est pas que ce soit laid, mais on a toujours un peu peur, en pareil cas, que l'argent consacré à l'écrin fasse défaut pour les bijoux. Une fois à l'intérieur, on constate que les volumes sont vastes. Très vastes. Et même si l'espace et la clarté sont agréables, on regrette un peu que tous ces mètres cubes n'aient pas davantage servi à exposer des connaissances plutôt que de l'air.
Le musée comporte, comme souvent, une exposition permanente et des expositions temporaires ; je ne parlerai ici que de la première, qui a pour louable ambition de présenter des connaissances à la fois sur la nature et sur les sociétés. Elle se décline en quatre salles. Les trois premières sont d'inspiration classique, puisqu'elles sont respectivement consacrées à l'univers et la matière, au monde du vivant, et aux sociétés. La quatrième est plus étonnante, puisqu'elle a pour sujet « la vie après la mort ». Tout un programme...
La nature
Après quelques pas dans les deux salles consacrées à la nature, le sourcil se lève pour deux raisons très différentes. Tout d'abord, on est frappé (et séduit) par la richesse et la qualité des objets présentés. D'immenses squelettes spectaculaires (dont un ptérodactyle et une sorte de brontosaure gros comme un autobus) côtoient de petits bijoux, comme ces papillons exotiques ou ces insectes improbables. Une mention spéciale pour les reconstitutions de trois êtres humains (Sapiens Néanderthal et Florès) : elles sont émouvantes de réalisme et, surtout, pour une fois, ce sont des femmes – un choix aussi heureux que rare.
L'exposé suit une logique antéchronologique : on commence par les périodes les plus récentes pour remonter peu à peu vers les temps plus anciens. C'est original, certes, mais je ne suis pas certain que d'un point de vue pédagogique, ce soit un choix très pertinent.
Toujours est-il que jusque là, même si l'on peut regretter ce mal des musées français qu'est le laconisme des explications, la visite s'avère fort agréable et instructive.
Là où les choses commencent à se gâter – et c'est la raison pour laquelle se lève le second sourcil, c'est lorsqu'on constate la place occupée dans ces salles par les calembredaines religieuses. À côté de l'exposé principal, d'ordre scientifique, se déploient en effet sur certains murs une série de récits mythiques, sans que rien ne vienne mettre une distance et, disons le mot, une hiérarchie entre ces fruits de l'imagination et le savoir attesté. En fait, le titre même de l'une des deux salles, suffisamment discret sur place pour que je ne le découvre qu'après coup, annonce déjà ce curieux syncrétisme (« Origines, les récits du monde »). Insistons : ce n'est pas la présence de ces récits mythiques, en elle-même, qui pose problème. Après tout, il serait utile de raconter comment le savoir scientifique, au cours des âges, a peu à peu fait reculer les croyances – non sans que celles-ci résistent par divers moyens, dont certains qui ne doivent rien au débat démocratique. Mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit ici. On est devant une sorte de bazar éclectique, où chacun semble libre de déterminer ce qui lui paraît le plus juste ou le plus poétique, quitte à se composer un petit panier garni personnel en picorant un peu de science ici, un peu de religion là.
La société
Mais c'est avec les deux dernières salles que l'écart entre la qualité des collections et les choix de la muséographie atteint, hélas, sa pleine mesure. En pénétrant dans l'espace consacré aux sociétés, on entre en effet dans un monde duquel ont disparu tout sens et tout ordre. Des vitrines juxtaposées, parfois splendides en elles-mêmes, mais disposées sans aucune espèce d'organisation, tiennent lieu de discours. Des ustensiles ménagers des années 1950 côtoient ainsi des monnaies mélanésiennes, un moteur de camion dernier cri avoisine une série de boucliers africains sans qu'aucune espèce de fil directeur n'organise tout cela. La raison en est évidente : le crime suprême consistant à reconnaître l'évolution des sociétés et à tenter de la penser, il faut tout faire pour éviter d'en suggérer l'existence au visiteur. Tout cela est d'autant plus irritant qu'une fois encore, il y a de magnifiques pièces ; j'ai ainsi découvert d'incroyables monnaies de plumes ou de coquillages destinées à payer les compensations matrimoniales ou au prix du sang, ou ces brassards portés par les plus prestigieux membres des sociétés dites « à grades » – sans parler d'une hallucinante armure japonaise du XVIIe siècle. J'ai notamment appris que la monnaie de la république de Papouasie Nouvelle-Guinée, le kina, tire son nom des coquillages qui, conjointement aux porcs, servaient il n'y a pas si longtemps dans les paiements de mariage... ce que les actuels billets de banque figurent sous forme de dessin, histoire de rendre leur destination plus explicite.
Là encore, les lieux restent avares d'explications et de raisonnements ; cela ne les empêche nullement, en revanche, de faire la part belle aux religions, qui ne sont pour le coup même plus séparées de l'exposé scientifique proprement dit. Réalités sociales et superstitions sont inextricablement mêlées et, faut-il le préciser, pas un seul mot ne vient ne serait-ce que suggérer que les croyances ne sont précisément... que des croyances. Ainsi, les seules choses que l'on verra des sociétés aborigènes d'Australie sont leur art et leurs représentations de l'espace qui privilégient les lieux sacrés.
Si l'exposé ne tarit pas d'égards vis-à-vis des superstitions religieuses d'ici et d'ailleurs, il est en revanche beaucoup moins délicat avec la démarche matérialiste, dont on serait pourtant en droit d'attendre qu'elle guide une réalisation financée avec l'argent public et destinée à ce qu'on appelait auparavant l'éducation populaire. On se pince donc très fort devant une borne multimédia qui, sous le titre sirupeux « croyances et vivre ensemble », propose un exposé sur les principales religions... et sur l'agnosticisme ! Ainsi, non seulement l'athéisme (ou le matérialisme) semble-t-il être un terme trop radical pour mériter sa place dans un musée du XXIe siècle, mais sa version édulcorée (honteuse, eut dit Engels) est placée sur le même plan que des superstitions d'un autre âge. Comme si croire au Père Noël ou ne pas y croire étaient des opinions également défendables et respectables.
Dans ces conditions, on ne s'étonnera pas que la quatrième salle (« La vie après la mort ») soit elle aussi toute entière dédiée aux croyances religieuses, sans bien sûr que celles-ci soient mises en rapport avec les structures sociales réelles et expliquées par elles (à l'exception d'une jolie petite vitrine sur la Chine impériale où, en remplissant soi-même les pointillés, on pourra comprendre comment la Cour céleste, avec ses dieux fonctionnaires, nommés et révoqués, reproduisait le fonctionnement de la Cour de ce bas monde).
Pour finir...
Ce musée inspire donc deux sentiments opposés. D'un côté, le bonheur d'avoir vu des pièces admirables et rares ; de l'autre, le fait que ces pièces aient été systématiquement placées au service d'un discours qui, sous couvert de bons sentiments, de tolérance et de « vivre ensemble » (sa présentation sur internet précise que le lieu « a pour objectif de rendre compte des rapports entre les sciences et les sociétés en insistant sur la pluralité des uns et la diversité des autres »), constitue une authentique démission devant les préjugés religieux. Par bien des aspects, malheureusement, ce Musée des Confluences est un produit de son époque, et aurait mieux mérité le nom de Musée des Complaisances.
Quelques jolies pièces de la salle « Sociétés » :
Des rouleaux de plumes utilisés en paiements de mariage (Îles Salomon) |
Monnaie à tête scupltée (Mélanésie) |
Pectoraux en dents de cochon (Papouasie) |
Brassards de grade (Vanuatu - XXe siècle) |
Longueur de coquillages. Utilisée comme paiement de mariage, elle est ensuite désassemblée en « petites coupures » (Nouvelle-Bretagne) |
Concernant le coût financier, le musé des Confluences aurait couté 5 fois plus chère que prévu. Avec l'argent public évidemment : http://www.mlyon.fr/125633-musee-des-confluences-il-aura-coute-5-fois-plus-cher-que-prevu.html
RépondreSupprimerJ'habite à Lyon et cela fait quelques temps que je compte m'y rendre, mais mon envie a toujours été freinée par cette histoire de coût démesuré. En tous cas, grâce à toi, c'est le premier avis concret que je peux lire sur le contenu de l'exposition permanente du musé. C'est la partie qui m’intéresse le plus, même si les expositions temporaires sont certainement intéressantes bien sur.
Par ailleurs, en ce qui concerne les religions, même si je suis très très loin d'être un expert, l'aspect de la vie après la mort est il me semble archi présent dans les monothéismes et non les polythéismes. Ceci pour dire que les vivants sous les polythéismes étaient d'autant plus incités à réussir leur vie terrestre, au contraire de ceux (sous les monothéismes) dont on promettait la félicité éternelle, la résurrection, en échange d'une obéissance servile et corvéable à souhait. Cet aspect de la vie après la mort a toujours accompagné une vision impériale du monde. Apparemment comme tu l'as démontré, la relation entre vie après la mort et inégalités sociales n'est pas abordée...
Aborder les religions en les détachant des structures sociales, c'est pas sérieux du tout.
Bon, après réflexion, je m'y rendrai quand même, mais avec un arrière goût à cause de toi (humour bien sur).
Merci de ton billet.
Je te rejoins complètement sur ce billet pour lequel je te remercie.
RépondreSupprimerHabitant à Lyon, je n'y suis allé qu'une fois, et j'en suis sorti avec la même impression gênante pour un amateur d'architecture, un matérialiste, un communiste, et il est réconfortant d'y retrouver exactement les mêmes réflexions. Comme le disait le précédent interlocuteur, la saga de la construction est révélatrice sur ce que peut être une construction de prestige. Tout a été mis dans l'écrin et la greffe muséographique est priée de s'y plier bon gré mal gré, avec les partis-pris complaisants pour la religion et contre l'idée de progrès social que tu as rappelés. Je n'y reviens donc pas. Je m'étonne du patronage que Guillaume Lecointre a bien voulu y apporter. Le paradigme de l'exposition se venge de lui jusqu'à la librairie (à moins qu'elle s'appelle boutique) où ses livres étaient rangés discrètement pendant qu'un Jean-Marie Pelt faisait les têtes de gondole. Autre anecdote, de mémoire, sur le sérieux de la chose : les explications et même tout simplement la signalétique sont un peu négligés autour des spécimens, dans ce qui apparaît plutôt comme un cabinet de curiosités, voire un Disneyland (voir les moulages devant lesquels on est invité à faire des selfies), et j'y ai vu comme un symptôme que sur les cartels dévolus à la présentation de la place de l'homme parmi les primates, une icône de capucin -singe d'Amérique du sud- représente... les lémuriens, presque un an après l'ouverture.
Pour ne pas faire trop long, je finirai par un petit commentaire qui n'est pas tout à fait innocent sur l'architecture du musée. La mairie voulait donc du spectaculaire. Il se trouve que le cabinet choisi relève du courant "déconstructiviste", une des branches du "postmodernisme" architectural, en rupture avec l'architecture fonctionnaliste qui court des années 20 aux années 70 et qui se revendiquait "rationaliste". Tout un programme ?