|
Edward Micklethwaite Curr (1820-1889)
|
Edward Micklethwaite Curr est un auteur bien connu des spécialistes des Aborigènes australiens. Son monumental
Australian Race (1886), écrit à partir de ses propres souvenirs de colon, auxquels s'ajoutent de nombreux rapports collectés sur différentes régions du territoire, reste une référence incontournable sur la structure des sociétés aborigènes telles qu'elle pouvait subsister durant les premières décennies de l'occupation occidentale. E. W. Curr a toutefois écrit bien d'autres livres, dont un entièrement autobiographique,
Recollections of Squatting in Victoria, then called the Port Phillip District, from 1841 to 1851, initialement paru en 1883.
Pour l'anecdote, le livre n'étant disponible dans aucune bibliothèque française, même les plus spécialisées, je me suis résolu à le commander depuis l'Australie (où l'on peut acheter une édition en fac-similé, d'ailleurs assez mal imprimée). Bouquin enfin reçu et fermement tenu en main, j'ai commencé la rédaction de ce billet... pour m'apercevoir après quelques clics que le le livre était disponible en
téléchargement gratuit au format pdf depuis une université américaine...
On trouve dans ce texte un passage d'un grand intérêt. Touchant à des thèmes centraux dans l'ethnologie aborigène (la sorcellerie vue comme cause des décès, les pratiques funéraires, les expéditions de vengeance), il fournit de nombreux détails de première main et constitue un témoignage d'excellente qualité. Le récit se déroule donc dans la décennie 1840, au sein de la tribu Bangerang, qui vivait le long du fleuve Murray, non loin de l'actuelle Shepparton (je me suis permis d'ajouter quelques sous-titres afin de faciliter la lecture).
Il confirme, s'il en était besoin, l'existence d'affrontements parfois très violents entre groupes ; ceux-ci semblent d'ailleurs s'être moins souvent déroulés lors de confrontations ouvertes que durant des expéditions nocturnes, où la surprise et la dissimulation jouaient un rôle primordial (ce qui a pu contribuer à l'idée fausse que les Aborigènes ne connaissaient que des combats bénins). Même si le récit est ici de seconde main (Curr n'ayant pas assisté lui-même au principal épisode) je ne vois guère de raisons de douter de son authenticité, l'auteur ayant une connaissance intime de plusieurs protagonistes.
Les batailles ouvertes
Lorsque deux tribus du voisinage avaient une querelle importante qui nécessitait d'être vidée, comme une violation de son territoire ou le rapt de quelques femmes, on combattait généralement en plein jour avec des lances, des boomerangs et des casse-tête ; le spectacle de deux ou trois douzaines de vifs sauvages s'appliquant de leur mieux à s'entretuer avec de telles armes n'était pas désagréable à voir, si l'on garde à l'esprit que ce tumulte n'occasionnait généralement à rien de plus que quelques vilaines entailles et crânes contusionnés, et un maquillage général quand tout était terminé. Dans mon expérience, je n'ai jamais vu personne se faire tuer dans ce genre d'engagements, bien que j'aie été témoins de quelques esquives réussies de justesse, tant les combattants étaient habiles à utiliser leur bouclier et tant leurs réflexes visuels étaient rapides. Par conséquent, les Blancs en sont venus à considérer ces affrontement davantage comme des assauts d'entraînement que comme comme de véritables batailles. Lorsque qu'une véritable haine et une soif de sang s'emparait d'une tribu, les choses se passaient très différemment
Les morts attribuées à la sorcellerie
Parmi les Bangerang, comme d'ailleurs parmi toutes les tribus d’Australie, pour autant que je le sache, la cause, non des combats, mais du sang versé, si l'on va au fond des choses, était neuf fois sur dix la croyance selon laquelle la mort des gens, qu'importe la cause apparente hormis le grand âge, était imputable aux sorts et aux incantations de certains de leurs ennemis – lesdits ennemis incluant tous les Noirs en-dehors de leurs amis intimes et de leurs voisins. Pour les Aborigènes, c'était une idée fondamentale qu'ils gardaient en permanence à l'esprit, et leur haine et ils avaient infiniment plus peur des sorciers que de celui qui avait abattu un des leurs de sa lance en combat régulier. Les Noirs ne faisaient généralement pas grand cas de la mort des femmes et des jeunes enfants, mais ainsi que je l'ai dit, tous les décès, qu'ils proviennent de maladies ou d'accidents, étaient attribués aux manigances obscures des magiciens. Et pour chaque adulte qui mourait de quelque cause que ce fut, excepté le grand âge, on aspirait ardemment à faire une victime en retour dans la tribu coupable, bien que par bonheur, on n'utilisât pas toujours pour cela la force des armes. En fait, le plus souvent, la revanche s'effectuait par le truchement d'incantations en sens inverse. Lorsqu'on recourait à des mesures plus actives, tout membre adulte de la tribu supposée coupable pouvait devenir la victime expiatoire, bien que la mort d'un homme fût considérée comme plus satisfaisante que celle d'une femme, même jeune. Aucune circonstance n'est peut-être plus importante que celle-là pour l'histoire de nos Aborigènes ; car cette croyance en la possibilité de prendre la vie par incantation, dans ses conséquences immédiates et collatérales, a été un poison pour ce peuple. Elle a systématisé le meurtre à travers tout le continent, a rendu impossible l'amitié générale entre les tribus et fut le facteur principal de sauvagerie et de dégradation.
De ces guerres et ces assassinats indigènes, je vais à présent relater un exemple ou deux.
Mort de Pepper
Dans la section Kailtheban des Bangerang, il y avait un bel individu vigoureux et jovial, connu sous le nom de Pepper. Maître Pepper, en 1845 – la période à laquelle je fais allusion – avait à peu près vingt-six ans, mesurait 1m80 pour 82kg ou davantage. C'était un célibataire de belle prestance, un expert dans le maniement de la lance et du casse-tête, et l'une des âmes les plus allègres et les plus géniales que j'ai connues, et il n'était nullement étonnant qu'il fût un des préférés de sa tribu et au-delà.
Il advint cependant qu'un jour, tandis que Pepper était parti chasser l'oppossum avec quelques autres de sa tribu, que la branche de l'arbre sur lequel il avait grimé céda et le précipita au sol. Il tomba, me dit-on, d'une hauteur de vingt mètres, sur un sol dur et empierré, de sorte que ses blessures furent terribles et qu'après être resté quelques heures inconscient, le pauvre homme mourut. La mort d'un seul guerrier étant une catastrophe pour la tribu, celle de Pepper fut bien sûr la cause d'une grande colère et d'un grand ressentiment parmi les Bangerang, et de nombreuses voix s'élevèrent pour que la tribu du sorcier qui avait provoqué la cassure de la branche en paye le prix fort.
Funérailles
|
« Tombe d'un indigène », peinture de G. H. Evans, 1820 |
Quelques heures après le trépas de Pepper, le cadavre fut préparé pour l'enterrement. Dûment enveloppé dans de vieilles peaux d'opossum, les genoux ramenés au menton et les bras attachés aux flancs, le corps possédait la forme d'une grande boule. Il fut alors placé sur une plaque d'écorce et porté par les hommes du groupe, suivi du reste du campement, jusqu'à la dune de sable la plus proche, à plusieurs kilomètres de là. Les dunes avaient été choisies comme cimetières en raison du fait qu'elles étaient faciles à creuser, dégager une tombe dans la craie compacte sans autre outil que des bâtons pointus s'avérant un travail très pénible. Parvenu au lieu de l'enterrement, on creusa dans le sable, sur une profondeur d'environ 1m20, un trou suffisamment grand pour recevoir le corps. Pendant que quelques-uns s'attelaient à cette tâche, les quelque 25 personnes qui formaient le reste du groupe étaient assises tranquillement en rond, fumant leurs pipes et discutant de leurs affaires quotidiennes. Une fois la tombe terminée, le cadavre fut rapidement déposé dans sa dernière demeure, un des Noirs descendant dans la tombe pour disposer le corps sur le côté. À cet instant, les spectateurs se dressèrent sur leur jambes et, avec la facilité à passer du rire au larmes si typique de cette race, laissèrent libre cours à leurs lamentations et à leurs cris qui pouvaient être entendus à plus d'un kilomètre de là. Les hommes se frappaient la tête avec l'arrière de leurs tomahawks de fer jusqu'à ce que le sang coule sur leur visage et sur leur dos, tandis que les femmes (en particulier les vieilles, qui tenaient toujours les premiers rôles dans ces scènes) entreprirent de se brûler les cuisses, les flancs et le ventre avec des brandons, au milieu des cris de lamentation. Au bout d'un moment, lorsque le paroxysme du chagrin fut passé, une plaque d'écorce courbée, plus large que la tombe, fut détachée d'un arbre voisin et placée au-dessus des restes. Sur elle, on posa des rondins qui avaient été découpés à la longueur voulue ; et finalement, on versa du sable, qui fut entassé pour former un monticule de 60 cm de haut et 2 mètres de côté. On dégagea alors un espace oblong d'environ cinq mètres autour de la tombe ; on le nettoya pour qu'il devienne lisse, et la lance de guerre du mort, décorée à la pointe d'un panache de plumes d'émeu, rougie à l'ocre, fut plantée fermement dans le sol à la tête de la tombe ; un ornement simple, dont le caractère pittoresque et approprié m'a toujours frappé. Enfin, une mince barrière de rameaux verts fut érigée autour du lieu, et les participants s'en retournèrent en silence à un campement qu'ils avaient établi non loin de là ; les plus proches parents du défunt afin de se couvrir le crâne de boue et le visage de craie.
Détermination de la tribu coupable
Le matin suivant, juste avant l'aube (et il en fut ainsi à la même heure durant des mois), poussé par quelque parente du défunt, s'éleva du campement un long gémissement traînant dont ceux qui ont été familiers des Noirs il y a quarante ans de cela se souviendront sans aucun doute. Ca et là, on pouvait aussi remarquer une femme assise près de son foyer, sanglotant silencieusement en écoutant le chant de tristesse. Peu après le lever du soleil, les hommes, lance en main (car personne ne quittait jamais le camp sans emmener au moins une lance), retournèrent à la tombe. Pénétrant dans son enclos, ils scrutèrent attentivement les traces que les vers et les insectes avaient laissées sur la surface fraîchement dérangée. Concernant ces traces, mon frère, qui était présent, me rapporta qu'elles donnèrent lieu à d'abondantes discussions, car aux yeux des Noirs, il s'agissait des traces laissées par le sorcier dont les incantations avaient tué la victime, et qui était censé avoir volé à travers les airs durant la nuit pour lui rendre visite. La seule difficulté consistait à leur attribuer une direction particulière, car en réalité, elles parcouraient la zone en tous sens. Pour finir, un jeune homme, pointant sa lance vers quelques traces qui se dirigeaient vers le nord-ouest, s'exclama plein d'excitation : « Regardez ! Qui sont ceux qui vivent là-bas ? Qui sont-ils, sinon nos ennemis, qui si souvent ont tué et ensorcelé des Bangerang ? Allons-y et tuons-les. » Comme la mort de Pepper était considérée comme un acte particulièrement atroce, cet éclat rencontra l'assentiment général de la tribu et fut accueilli par un cri un unanime d'approbation qui retentit dans le camp, tandis que les voix aiguës des femmes lui faisaient écho.
Préparatifs
Le point principal étant arrêté, et tout doute sur l'identité de ceux qui avaient causé la mort de Pepper étant ainsi levé de l'esprit des Bangerang, d'intenses délibérations se poursuivirent durant plusieurs jours autour des feux. L'essentiel de la tribu était rassemblé et des messagers furent envoyés aux voisins pour savoir s'ils avaient des objections au massacre des présumés coupables car, en raison des intermariages des tribus, il arrivait que des difficultés surgissent en pareil cas. Des espions se rendirent également rapidement en territoire hostile pour recueillir des informations sur le lieu et ses habitants. Ces préliminaires ayant été accomplis, les hommes de la tribu Bangerang qui avaient choisi de faire partie du groupe, et un ou deux volontaires des tribus voisines partirent sur le sentier de la guerre. Comme ils avaient devant eux une longue marche forcée, qu'ils s'étaient mis d'accord pour partir sans feu et pour laisser leurs tomahawks derrière eux – la fumée et le bruit des opossums se faisant occire pouvant dévoiler leur présence à leurs futures victimes – ils s'adressèrent au dernier moment à mon frère, qui vivait alors dans la station, pour obtenir une petite quantité de farine que, naturellement, il leur refusa. Tout étant prêt, et les chiens enfermés au camp pour les empêcher de les suivre, les quinze membres du groupe des vengeurs, un par un, massue et lance en main, sans un mot d'adieu pour leurs femmes ou leurs enfants, prirent le départ, et l'on perdit rapidement de vue les silhouettes des guerriers du crépuscule qui avançaient en file indienne dans l'obscurité de la forêt.
L'assaut
|
Aborigène en peintures de guerre |
Ce qui se déroula lors de cette expédition me fut narré quelques temps après par l'un des protagonistes, et peut être considéré comme un authentique exemple de guerre australienne. Voici donc :
Lorsqu'il quitta son propre territoire, le groupe avançait camouflé, et en marchant le plus souvent de nuit, jusqu'aux environs de la station de Thule, jetant un œil en chemin aux lieux (connus par l'un des volontaires) auquel les groupes de la tribu visée avaient des chances de se trouver. Après plusieurs jours à errer de place en place, vivant de quelques racines déterrées, et souffrant grandement de faim et de fatigue, ils aperçurent peu avant le crépuscule, et sans se faire eux-mêmes remarquer, un petit campement ; après quoi ils se retirèrent et se dissimulèrent dans un fourré de roseaux. Vers deux heures du matin, le groupe de vengeurs quitta sa cachette et retourna près du camp ; s'étant débarrassés de leurs moindres vêtements et ayant peint leur visage de craie, ils saisirent leurs lances et leurs massues et, s'avançant lentement et silencieusement, parvinrent bientôt jusqu'à leurs victimes endormies.
Je peux fort bien m'imaginer la scène, car on m'en a souvent décrit de pareilles. Si un témoin avait été présent, il aurait observé devant les abris quelques petits feux, les uns qui couvaient, les autres brûlant ardemment et, sous le vent, peut-être les silhouettes recroquevillées d'une douzaine d'individus endormis, grands ou petits, emmitouflés dans leurs peaux d'opossums. À côté de certains d'entre eux, il aurait vu plusieurs lances fichées en terre, qui indiquaient où se trouvaient les hommes et, presque dans les cendres des feux, une meute de chiens à demi affamés. En portant son regard au loin, il aurait pu sentir que quelques masses sombres étaient en train de se déplacer. Si elles avaient attiré son attention, cela n'aurait été que pour un instant, car leur prompt évanouissement l'aurait probablement convaincu qu'il s'agissait d'une illusion due au mouvement des nuages et de la lumière de la lune dans la forêt. Soudain, il aurait à nouveau aperçu ces formes sombres, mais cette fois sans que le doute soit possible, et plus proches. Il aurait alors observé leur approche, tantôt perdues dans l'ombre des arbres, tantôt réapparaissant fugitivement dans un espace éclairé par la lune. S'il avait été novice en la matière, sans doute n'aurait-il pas saisi l'importance de ce qui se déroulait sous ses yeux, tant les apparitions étaient évanescentes et silencieuses. Peu à peu, cependant, ce qu'il observait devenait plus distinct. Il aurait à présent vu qu'il s'agissait d'hommes, nus, armés de lances et de massues, presque pliés en deux, et s'approchant à pas rapides et silencieux. Bientôt, ils sont au contact ; dans le halo des feux de camp, ils se redressent ; les cercles de craie autour de leurs yeux et les bandes de la même substance le long des côtes et des jambes, qui leur donnent l'air de squelettes, deviennent visibles. On voit à présent la poitrine gonflée, les narines dilatées, les yeux emplis d'éclairs des sinistres visiteurs. Selon la coutume indigène, personne ne montait la garde, et j'ai souvent entendu les Noirs dire que leurs chiens à demi morts de faim ne donnaient que rarement l'alarme en cas d'intrusion de Noirs étrangers, bien qu'ils aboyassent lorsque les intrus étaient des Blancs. Parvenus au feu, le groupe d'attaquants fit une pause, portant les pointes de leur lance au feu et leur permettant de brûler un peu, afin de rendre la blessure qu'ils s'apprêtaient à infliger plus douloureuse ; puis, avec leur doigts, ils soulèvent doucement les couvertures de la poitrine de leurs victimes et, à un signal donné, avec un hurlement simultané, plongent leurs lances barbelées dans la poitrine ou dans le dos des dormeurs. Puis, des mia-mias [abris] prestement renversés, jaillissent les cris des mourants, ceux des femmes et des enfants, les coups des massues, les vociférations des prostrés, qui tentaient de se défendre ; l'aboiement des chiens et les hurlements des assaillants, qui se trouvaient à trois contre un. C'est à une scène horrible que la lune pâle de Thulé assista cette nuit-là ; et avec elle, on pouvait penser que la mort de Pepper avait été pleinement vengée. Cependant, ce n'était pas le cas. Tandis que le massacre battait son plein et que l'élimination des hommes du camp posait quelques problèmes car ils se défendaient désespérément autant qu'ils le pouvaient, déployant une énergie dont peu de Blancs sont capables une fois gravement blessés, un certain nombre de femmes et d'enfant s'étaient débrouillés pour s'échapper. Ceux-ci, d'évidence, allaient revenir au camp d'ici quelques heures et l'on décida sur le champ d'attendre leur retour afin de les assassiner. À cette fin, les assaillants se dissimulèrent dans des buissons proches tandis qu'il faisait encore nuit, non sans avoir mutilé les morts de la plus horrible manière en leur prélevant les glandes surrénales, brûlé les ustensiles du camp et s'être approprié la nourriture qu'ils avaient trouvée.
Depuis leur cachette, les sauvages à demi morts de faim surveillèrent le
camp jusqu'à ce que peu après l'aube, les endeuillés sans défense
fassent leur apparition et soient aussitôt saisis. Ce qui suivit ne peut
être décrit. Au bout du compte, tous furent tués, sauf une jeune femme
qu'un Noir sauva du massacre et prit comme épouse. Son sort fatal,
cependant, n'en fut guère retardé car, sur le chemin du retour qu'on
prit immédiatement, une brute à la soif de sang peu commune s'avança
derrière elle et fit jaillir sa cervelle d'un coup de massue. Après le
massacre des femmes et des enfants, le jour révéla que l'un des
assaillants, un volontaire d'une tribu voisine – l'assassin de la jeune
femme –, avait tué son propre frère dans la mêlée sans le reconnaître.
|
« Guerriers de Nouvelles-Galles-du -Sud », M. Dubourg (1813) |
Épilogue
Un soir, tard, quelques jours après ces événements, j'étais à la maison lorsque le groupe de vengeurs parvint à son camp à Tongala, après des marches forcées. Dodus et gras lorsqu'ils étaient partis, ils avaient à présent l'allure piteuse et la mine défaite. Leur habituelle douceur de mœurs et leur bonhomie avaient disparu et au lieu de cela, il ne restait d'eux que vantardise et forfanterie, ainsi qu'un regard difficile à analyser mais qui me sembla révéler une peur coupable. La nuit de leur retour, bien qu'on craignit des représailles, ils furent fidèles à leur coutume de ne pas monter la garde et nous nous sentîmes soulagés, le matin suivant, lorsque toute la horde commença sa retraite de 150 km jusqu'à la rivière Goulburn. Pendant l'absence du groupe des vengeurs, ceux qui étaient restés au camp disaient que la nuit, le fantôme de Pepper apparaissait sans cesse au chef des conjurés, à qui il avait confié une pipe de terre d'un motif différent de tous ceux connus jusque là, ainsi qu'à sa belle-sœur, à laquelle il avait appris un nouveau corroboree [danse] qui depuis était devenu à la mode. À part des affirmations de ce genre, qui démontraient une bonne dose d'infantilisme et de mensonge, et les lamentations furtives des femmes, qu'on entendait encore même lorsque la tribu revint dans notre voisinage quelques mois plus tard, rien de plus ne fut dit à propos de Pepper.
Aucun commentaire