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Les Natchez : une combinaison unique d'inégalités de genre et de classe

Comme je l'ai écrit dans la préface de la deuxième édition de mon Communisme primitif, la première impression du texte comprenait un certain nombre d'erreurs ou d'imprécisions coupables. Parmi celles-ci figure le passage que je consacrais aux Natchez ; d'une part je qualifiais leur société d'étatique, d'autre part je mettais l'accent sur la liberté sexuelle prémaritale des femmes, sans donner plus d'informations sur leur situation une fois mariées ni sur leur place globale dans la société.
Or, si les Natchez étaient sans doute très près de constituer un État, on peut penser que le pas décisif n'avait pas été franchi. Quant à la situation globale des femmes dans cette société, elle était bien loin de l'aimable liberté que je laissais entrevoir. Sur ce point, Du Pratz est sans appel :
« On ne peut concevoir à quel point ce peuple tient à assigner la prééminence aux hommes. Dans chaque assemblée, que ce soit celle de toute la nation, de plusieurs familles ou d'une seule, on considère davantage les plus jeunes garçons que les femmes les plus âgées ; et durant leurs repas, lorsque la nourriture est distribuée, on ne la présente pas aux femmes avant que tous les hommes aient reçu leur part de sorte qu'un garçon de deux ans est servi avant sa mère. Les femmes travaillant sans cesse, sans être jamais distraites de leur devoir, ou séduites par les galanteries d'un amant, elles ne pensent jamais à objecter à une coutume dans laquelle elles ont toujours été élevées. » (Du Pratz, p. 325)
Là où les choses prennent une tournure peu banale, c'est que les Natchez, comme je l'expliquais dans un billet précédent, possédaient l'étrange coutume d'obliger les nobles, hommes ou femmes, à épouser des roturiers. Ceci aboutissait donc à deux situations.

La première était celle du mari noble et de l'épouse roturière. Dans ce cas, la domination de classe se surajoutait à la domination de genre.Cette relation, qui s'accompagnait volontiers de la polygynie, donnait au mari la disposition totale de la sexualité de sa femme ; il pouvait notamment prêter celle-ci selon son bon plaisir, et la répudier de même.

La seconde, plus inattendue, voyait deux dominations agir en sens inverse, puisque l'épouse, socialement  inférieure à son mari par le sexe, lui était supérieure par le sang. C'est cet aspect que privilégiaient les mœurs Natchez, d'une manière qui ne manque pas d'étonner :
« Les filles de la famille noble sont en droit de congédier leur mari quand bon leur semble et d'en prendre un autre (...) Si leurs maris leur font une infidélité, elles peuvent leur faire casser la tête, et elles ne sont point sujettes à la même loi. Elles peuvent même avoir autant de galants qu'elles jugent à propos, sans que le mari puisse le trouver mauvais, c'est un privilège attaché au sang du Soleil. Il se tient debout en présence de la femme dans une posture respectueuse ; il ne mange point avec elle ; il la salue du même ton que les domestiques. Le seul privilège que lui procure une alliance si onéreuse, c'est d'être exempts de travail et d'avoir autorité sur ceux qui servent son épouse. » (Charlevoix, III, p. 423)
Pour conclure, rappelons que les époux roturiers ne devaient pas survivre à leur noble conjoint et que, femmes ou hommes, ils étaient exécutés à la mort de celui-ci. Je ne crois pas qu'il existe de terme désignant le cas spécifique de la mort d'accompagnement obligatoire et touchant l'époux (le terme le plus proche, le sâti de l'Inde, désigne une pratique volontaire, au moins en théorie). Mais quelle que soit la manière dont on l'appelle, les Natchez sont donc peut-être le seul peuple qui pratiquait une forme de sâti sur des éléments masculins de la population. Non parce que les femmes y dominaient les hommes, mais parce que la stratification sociale primait sur toutes les autres, et que leurs curieuses pratiques matrimoniales obligeait la noblesse à l'exogamie.

NB : la citation de Du Pratz est une (re)traduction depuis l'anglais, l'original en français m'étant inaccessible.

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