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Discussion sur le contenu du livre (2) :
La division sexuelle du travail, son origine, ses causes et ses modalités

Bien des commentaires sur ce sujet épineux !

8 commentaires:

  1. Un truc que je n'arrive pas à saisir - mais j'ai peut-être raté une étape - c'est pourquoi la division du travail s'est faite partout en excluant les femmes de la chasse et du maniement des armes, alors que tu dis que le critère de force physique ou de la fragilité pendant les grossesses n'est pas valide ? D'autre part ça m'intéresserait d'en savoir un peu plus sur les interdits liés aux menstruations, au sang... est-ce que c'est là-dedans qu'il faudrait comprendre les tabous liés aux armes ? ça serait-y qu'on serait "maudites" dès avant la division du travail ? Sinon cette division aurait pu se faire autrement, au moins en quelques endroits, non ? Merci merci

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  2. C'est une excellente question... à laquelle, je crois, il n'existe aucune réponse satisfaisante.

    Un chapitre du bouquin ("causes de la division sexuelle du travail") est précisément consacré à cette question. J'y expose d'une part les théories "naturalistes", qui prétendent expliquer l'exclusion des femmes de la chasse par des raisons physiologiques, en montrant que ces théories collent bien mal aux faits. J'expose également la théorie "idéologique", qui fait reposer cette exclusion sur un système de croyances. Mais si cette explication se concilie bien davantage avec les observations, elle ne peut que laisser insatisfait. Et je ne pense pas possible d'accepter, comme tu le dis, que les tabous aient précédé cette division sexuelle du travail ; je crois qu'il l'ont accompagnée (ou qu'ils ont accompagné sa formulation culturelle).

    En conclusion, j'emets l'hypothèse qu'il y a sans doute au départ une lointaine détermination physiologique, mais qui a été tellement retravaillée par les croyances qu'elle en est presque méconnaissable et qu'elle a largement outrepassé son rôle initial.

    Je crois qu'il faut savoir avouer qu'on ne sait pas, et préférer un bon doute à une mauvaise spéculation. L'origine ultime de la division sexuelle du travail fait partie de ces questions actuellement non résolues (et on peut même douter du fait qu'on pourra la résoudre un jour).

    Cela n'empêche pas d'une part, d'évaluer sa physionomie et surtout, ses conséquences - tout le raisonnement sur l'oppression des femmes du bouquin y est consacré.

    Pour une présentation rapide des tabous sur le sang, on peut commencer par lire les appendices (à partir de la page 233) du livre de Raoul et Laura Makarius, L'origine de l'exogamie et du totémisme, librement disponible au téléchargement.

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  3. ça m'avance, tiens !
    mais comment ça se fait que ce soit fait partout pareil ? c'est bizarre quand même ?

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  4. Certes.

    Si l'on est partisan de l'explication "idéologique", on en déduit qu'il y a là l'indice d'une structure "a priori", universellement partagée, dans l'esprit humain. Personnellement, j'ai beaucoup de mal à être convaincu par ce mode de raisonnement.

    Il me semble au contraire que cette universalité plaide en faveur du fait que les facteurs biologiques ont joué un rôle essentiel dans cette division sexuelle du travail - même si, rappelons-le une fois encore, ces vraisemblables impératifs biologiques ont été très largement "triturés" par les croyances qui les ont justifiés, au point que les modalités effectives de la division sexuelle du travail dans les sociétés primitives outrepassent très largement ce que dicteraient de simples contraintes d'ordre pratique.

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  5. La division sexuelle est universelle au même titre que les représentations préhistoriques, les figurines néolithiques, au même titre que l’évolution humaine, les modes de vie, … sur des continents très éloignés et qui n’ont pas eu forcément de contacts en ces temps reculés. De ce fait je ne suis pas convaincu que la physiologie, la biologie, … soit si déterminants que cela dans la division sexuelle et son caractère universel.
    Nous sommes tous des êtres humains constitués de la même façon et c’est notre cerveau qui nous dirige. Il est le cœur de nos pensés, de nos faits, … Et comme le montre les divers exemples ethnologiques il existe une pensée universelle qui est adaptée culturellement sous différentes formes. En lisant ces exemples on se rend compte qu’il y a bien une même idée directrice pour tous mais que chacun, de part ces expériences, son environnement, … les a adapté.
    Il est donc difficile de trouver l’origine de cette division mais il est assez facile de comprendre pourquoi et comment on retrouve cela partout dans le monde. L’évolution culturelle est un facteur important et il est possible que la dominance masculine puisse également s’expliquer par la démographie.

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  6. Pour ce qui concerne la question passionnante de l’universalité de la nature de la répartition sexuelle des taches : On est tout de même frappé, à la lecture du livre, par le caractère finalement absolu de cette universalité qui ne souffre quasiment pas d’exception. Bien sûr il y a des variantes, mais jamais sur l’essentiel (certaines armes, l’agriculture intensive, …).
    Et cette absence d’exception notable, parmi la multitude (des centaines) de sociétés sur lesquelles on a pu le mesurer appelle la remarque suivante : Il faut qu’il y ait des causes très fondamentales à cette répartition qui en interdise une inversion du rôle des 2 sexes.
    En tête de ces causes, on songe bien sûr à la maternité, comme évoqué d’ailleurs dans le livre, mais aussi à la relation de l’individu à la sexualité (la concurrence entre mâles notamment).
    Est-ce qu’on ne peut pas envisager que cette répartition des taches (ou sinon, des formes ancestrales de cette répartition) remonte à une époque antérieure aux sociétés primitives.
    Question subsidiaire : chez les grands singes, est-ce que ce n’est pas le mâle, plus gros et costaud que la femelle, qui doit se battre pour ramener la nourriture, pour protéger le groupe, etc ?
    Peut-être cet exemple n’est-il pas le bon, mais je reviens à mon idée de départ qu’il faut qu’il y ait eu des causes prenant racine dans des différences biologiques et comportementales à la fois nettes et omniprésentes dans l’espèce pour que ça ait abouti partout au même schéma de domination (certes plus ou moins forte).
    Non ?

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  7. Pour commencer, deux mots à propos de « l'époque antérieure aux sociétés primitives » dont parle Jeug. Cette expression me paraît ambiguë et de nature à obscurcir les choses. En effet, si l'on entend par « sociétés primitives » les sociétés humaines telles qu'on a pu les observer, disons, depuis quelques siècles, alors évidemment, la division sexuelle du travail est apparue antérieurement. Mais si par sociétés primitives on entend toute société humaine du passé, alors la phrase signifierait que la division sexuelle du travail serait apparue avant que l'homme soit biologiquement ce qu'il est aujourd'hui (disons vers -200 000 ans), voire avant même les premiers représentants du genre homo (- 2,5 millions d'années).

    En fait, la réponse est simple : on n'en sait rien du tout. La seule chose raisonnablement certaine, c'est que la division sexuelle du travail est un attribut de notre espèce, homo sapiens : on n'en connaît aucun exemple, présent ou passé, qui aurait ignoré la division sexuelle du travail. Pour ce qui est des autres espèces du genre homo, je crois qu'on en est réduit aux conjectures - un ami m'a signalé un article qui défend l'hypothèse que Néanderthal aurait ignoré la division sexuelle du travail, et que ce facteur aurait contribué à sa défaite face aux sapiens (je n'ai pas réussi à mettre la main dessus, et je ne connais donc pas les arguments qui y sont exposés ; mais si quelqu’un me le trouve, je suis preneur !).

    Pour terminer sur ce point, et c'est ce que j'ai essayé d'expliquer dans le livre, je ne suis pas sûr que la division sexuelle du travail soit « apparue » un beau jour et qu'on puisse ainsi dater cette apparition. J'aurais plutôt tendance à croire qu'elle est le produit d'une longue évolution, au départ entièrement biologique, puis de plus en plus culturelle, au cours de laquelle il est impossible de déterminer un point décisif de basculement. Parmi les espèces de singes qui nous sont proches, aucune ne pratique une stricte division sexuelle du travail qui éloigne notamment de manière absolue les femelles de la chasse, ce qui est sans doute la caractéristique majeure de ce qui se passe chez homo sapiens. Mais chez plusieurs espèces, comme par exemple les chimpanzés, la femelle chasse peu - les biologistes l'expliquent par les contraintes liées à la maternité, mais aussi par le dimorphisme sexuel, beaucoup plus prononcé que chez les hommes. Il n'est donc pas interdit de penser que nos lointains ancêtres (lointains jusqu'à quel point, on l'ignore) connaissaient, en raison de contraintes biologiques, les prémisses d'une division sexuelle du travail. Et que sous l'influence de la pensée consciente et du développement culturel, ces prémisses se sont peu à peu codifiés, rigidifiés, se chargeant au passage de toute une série d'interdits magico-religieux, pour aboutir à la situation qu'on a pu observer à l’époque contemporaine. Soit dit en passant, pour autant que je puisse en juger, j'incline aussi à penser que les choses se sont passées d'une manière voisine en ce qui concerne l'inceste, mais c'est un autre sujet.

    Tout cela est d'autant moins aisé à démêler que cette évolution culturelle a manifestement abouti, sous certains aspects, à des résultats contraires à une partie de ses motifs initiaux. En séparant radicalement les femmes de la chasse et des armes, la division sexuelle du travail a incontestablement contribué à affaiblir les femmes qu'elle était censée protéger. Mais l'évolution, sociale ou non, est pleine de ces apparents paradoxes qu'en d'autres temps on appelait la dialectique...

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  8. En ce qui concerne cette fois les stratégies sexuelles, mes quelques (trop rares) lectures sur le sujet abondent toutes dans le même sens : nos cousins primates nous montrent la diversité des stratégies possibles - sans compter qu’au sein d’une même espèce, les choses sont loin de se passer toujours de la même façon : les comportements sont susceptibles de varier considérablement en fonction du milieu, mais aussi, semble-t-il, d’un acquis qui est une forme embryonnaire de « culture ».

    En tout cas, le traditionnel cliché « mâle-dominant-costaud-qui-pète-la-gueule-au-premier-qui-s’approche » versus « harem-de-femelles-offertes-à-qui-se-débrouillera-pour-les-prendre » fonctionne à la rigueur pour certaines espèces de singes, comme les gorilles, et encore, il y aurait beaucoup à redire. Mais il ne décrit pas du tout ce qui se passe chez les bonobos, voire chez des espèces plus lointaines, comme les tamarins, qui sont carrément polyandres !

    La proportion dans laquelle le mâle est « plus gros et plus costaud » que la femelle (ce qui s’appelle le dimorphisme sexuel) est très variable d’une espèce à l’autre. Il semble que ce dimorphisme puisse être relié au type d’organisation sexuelle : en gros, une compétition féroce pour l’accès aux femelles va de pair avec un fort dimorphisme, une compétition moindre avec un dimorphisme moindre. Mais il y a des tas d’autres solutions pour les mâles que de devoir se casser la figure en permanence, et chez certaines espèces, les mâles coopèrent. Sans parler que les femelles, elles aussi, développent des stratégies, individuelles et collectives, et ne sont pas l’instrument passif des stratégies des mâles.

    Bref, là encore, pas de règle générale, si ce n’est que tout ça n’apparaît, chez les singes, qu’indirectement lié aux questions d’approvisionnement : le dimorphisme favorise des stratégies alimentaires différentes (mais il ne faut pas confondre cela avec la division sexuelle du travail : ces stratégies alimentaires différentes ne conduisent pas à des transferts réguliers et codifiés de nourriture d’un sexe vers l’autre). Pour couronner le tout, une dernière remarque : au cours de son évolution biologique, l’homme a évolué vers un dimorphisme sexuel de moins en moins marqué... mais vers une division sexuelle du travail de plus en plus profonde. Conclusion, méfions-nous des choses (trop) simples que nous pourrions apprendre chez les singes...

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