Dark Emu: Aboriginal Australia and the birth of agriculture (Bruce Pascoe)
Si la publication de Dark Emu est passé à peu près inaperçue en France, ce livre a représenté, en Australie, en plus d'un formidable succès de librairie (il s'en est apparemment vendu plus de 100 000 exemplaires), un véritable phénomène de société. Couronné de divers prix et de nominations, il semble bien parti pour devenir une référence dans l'enseignement de l'Histoire. Comme on peut s'en douter, une telle résonance ne peut s'expliquer par le seul caractère novateur des thèses qui y sont défendues : encore faut-il que les thèses en question entrent en sympathie (au sens physique et métaphorique du terme) avec des cordes qui ne demandent qu'à vibrer. En l'occurrence, au-delà de la question de la réévaluation des accomplissements passés des groupes Aborigènes, ce récit se trouve à la croisée de deux sujets majeurs que sont la durabilité de la trajectoire économique et écologique d'une part, et l'épouvantable legs de la conquête coloniale sur les relations avec les communautés aborigènes contemporaines.
Je reviendrai à la fin de ce billet sur les dimensions politiques du débat, car elles ne peuvent évidemment pas être occultées. Bruce Pascoe, de même que ses adversaires, avance d'ailleurs drapeau déployé à ce sujet – il revendique notamment une ascendance aborigène. Le débat s'est ainsi cristallisé entre les soutiens de Dark Emu, dont les contours épousent ceux du camp que l'on pourrait dire socialement progressiste, et ses adversaires, souvent virulents, qui ne cachent pas leurs opinions conservatrices. Assez significativement, j'y reviendrai aussi, le monde académique semble ne s'être guère manifesté, que ce soit pour défendre le livre ou pour l'attaquer. Je crois deviner à cela quelques bonnes raisons. Mais chaque chose en son temps : avant d'en venir aux intentions des uns et des autres, il faut examiner les thèses de Dark Emu, et les éléments sur lesquels elles s'appuient.
Les Aborigènes n'étaient pas des chasseurs-cueilleurs
C'est en effet la thèse - évidemment provocatrice – défendue dans ce livre. Bruce Pascoe entend démontrer que la vision traditionnelle des Aborigènes comme des chasseurs-cueilleurs nomades a été forgée par le colonisateur afin de légitimer sa mainmise sur une Terra nullius, c'est-à-dire un territoire non sans habitants, mais sans possesseur reconnu (par celui qui voulait s'en emparer, évidemment). Ce faisant, on aurait travesti la réalité d'une partie importante des tribus aborigènes qui, à des degrés divers, pratiquaient l'agriculture, notamment sous sa forme irriguée (chapitre 1), l'aquaculture (chapitre 2), vivaient de manière sédentaire dans des habitats fixes (chapitre 3), stockaient leurs denrées sur une échelle significative (chapitre 4), et utilisaient les mises à feu systématiques pour gérer le couvert herbeux et le renouvellement des espèces végétales et animales (chapitre 5). Les derniers chapitres du livre, pour leur part, sont consacrés à la manière dont les caractéristiques (réelles ou supposées) des sociétés Aborigènes traditionnelles pourraient et devraient être remises en pratique afin d'offrir des solutions aux problèmes rencontrées par la société australienne actuelle.
« Femmes indigènes ramassant des racines d'ignames », 1835 |
Aucun des éléments présentés par Bruce Pascoe n'est véritablement nouveau. Celui-ci s'appuie à la fois sur des découvertes archéologiques et sur les témoignages de certains observateurs occidentaux des débuts de la colonisation, depuis longtemps publiés et disponibles. On peut même dire – et Bruce Pascoe lui-même le confesse volontiers – que la matière du livre, depuis ses thèses principales jusqu’aux exemples fournis, est très majoritairement redevable aux travaux de Rupert Gerritsen, un chercheur indépendant décédé en 2013, qui a défendu dans un certain nombre de textes l’idée que certains groupes Aborigènes pratiquaient une authentique agriculture. Si les raisonnements proposés par Gerritsen pouvaient être contestés, et ils furent parfois vertement, en revanche chacun s’accorde à louer l’honnêteté et la rigueur avec lesquelles il présentait les pièces de son dossier. On ne peut malheureusement en dire autant de Dark Emu qui, maniant beaucoup plus volontiers l’hyperbole et le superlatif que la nuance et le conditionnel, mêle inextricablement des éléments parfaitement avérés, d'autres possibles mais plus douteux, d'autres fort improbables, et enfin de franches affabulations, faisant feu de tout bois en maniant concepts et faits avec une désinvolture désarmante.
L'anthropologie sociale et la préhistoire savent depuis longtemps que, sur le plan technique comme sur celui des structures sociales, la dichotomie traditionnelle, qui oppose le chasseur-cueilleur errant au cultivateur sédentaire et stockeur, ne constitue qu'une approche très grossière et insuffisante de la réalité. Pour commencer, la transition à l'agriculture, si rapide qu'elle ait pu être, a nécessairement supposé des étapes intermédiaires et donc, des situations qu'il faut tenter d'appréhender au mieux avec un vocabulaire toujours un peu inadapté (d'où les expressions, par exemple, de « semi-sédentarité » ou de « proto-agriculture » rencontrées dans les publications scientifiques). De plus, l'agriculture, la sédentarité et le stockage ne sont pas nécessairement allés de pair : et l'on connaît en particulier le cas des chasseurs-cueilleurs autrefois dits « complexes », en particulier ceux de la Côte Nord-Ouest qui, sans s'adonner à la moindre forme d'agriculture, n'en étaient pas moins villageois (sédentaires) et stockeurs. Or, significativement, à aucun moment ou presque, Bruce Pascoe n'évoque ces questions. L'existence des chasseurs-cueilleurs stockeurs est évoquée une seule fois, au détour d'une page, sans que la possibilité que certaines tribus Aborigènes relèvent de cette catégorie soit même examinée. Quant à l'existence de formes mixtes, ou intermédiaires, entre chasse-cueillette et agriculture, ou entre nomadisme et sédentarité, il n'en est jamais question : si les colons ont, selon Bruce Pascoe, voulu ranger à toute force les Aborigènes dans une case, il convient de les en sortir pour les faire entrer à toute force dans l'autre. Et pour servir cet objectif, tous les moyens sont bons. On en aura un premier aperçu avec la double perle selon laquelle :
« Plusieurs de ces villages [Aborigènes] se sont révélés être les plus vieux au monde, une découverte qui suggère que les peuples Aborigènes ont aussi inventé la société ».
Et l’on se demande qui, de Bruce Pascoe ou des colons des siècles passés, se distinguait par ses préjugés les plus crasses vis-à-vis des chasseurs-cueilleurs…
Petits - et gros – arrangements avec les faits (1) :
Des sources, des anguilles, des gâteaux et des moulins
Pour évaluer chaque élément avancé par Bruce Pascoe et, en particulier, relever tous les cas de glissement ou de franche déformation, un livre entier serait nécessaire. Ne pouvant évidemment me lancer dans pareille entreprise, je me limiterai ici à quelques points qui me paraissent particulièrement importants ou significatifs.
À titre général, il faut commencer par noter la manière dont il choisit de donner – ou, plus exactement, de ne donner que de manière choisie – les moyens à ses lecteurs de vérifier ses affirmations. En apparence, en effet, l'appareil de référence et la bibliographie ont de quoi en imposer ; s'agissant d'un ouvrage relativement court, destiné au grand public, nul doute que cet effet soit atteint, et que l'ensemble dégage une impression d'érudition et de sérieux. Néanmoins, sitôt que l'on tente de procéder à une vérification plus minutieuse, celle-ci se se dissipe pour laisser place à un sentiment tout à fait différent.
Pour commencer, nombre d'informations restent sans aucune source. On pourrait citer des dizaines de cas. Ainsi, un vieil Aborigène de la tribu Yuin aurait-il affirmé à George Robinson, un fonctionnaire du début de l'époque coloniale, qu'eux aussi pratiquaient l'agriculture, sans qu’on puisse savoir où retrouver les termes de ce surprenant dialogue. Quant au chercheur qui « affirme que le site d'art pariétal aborigène de Garden Range (...) dépeint un élevage de kangourous », il restera lui aussi inconnu du lecteur, de même que le titre des travaux qui défendent cette si originale interprétation. On n’en saura pas davantage sur ce « village complexe au centre du 'cœur mort' de l'Australie », site archéologique qui serait actuellement étudié et dont « les habitants possédaient un système complexe de gestion de l'eau, un habitat sophistiqué, des carrières de pierre, et des aménagements pour moudre et stocker le grain ». Etc.
Au problème des références manquantes s'ajoute le fait que parmi celles qui sont fournies, un nombre considérable sont de seconde main. Sur les 263 notes de référence, Rupert Gerritsen n’en représente à lui seul pas moins de 23. Pourquoi ne pas avoir donné directement les sources sur lesquelles celui-ci s'appuyait ?
Mais là où le manque de rigueur du livre confine à la franche malhonnêteté, c'est lorsqu'il déforme sans aucune vergogne les informations pour les accommoder à la sauce qu'il entend servir. Les exemples fourmillent, ce sur quoi divers critiques (certes pas toujours bien intentionnées, mais c’est un autre problème) n'ont pas manqué de mettre le doigt. J'en relèverai ici seulement quelques-uns.
William Buckley |
Le premier n'est certes pas central pour son propos, mais il est révélateur. Parlant des pièges à poissons découverts près du lac Condah, dans le sud-ouest de Victoria, Bruce Pascoe écrit :
« Le bagnard évadé William Buckley visita le lac Condah avant 1836, et vanta les quantités de poisson qui y étaient capturées. Il vit également plusieurs autres dispositifs destinés à la pêche sur de plus petits cours d'eau dans divers lieux à l'ouest de la baie de Port Phillip ».
Les mémoires de Buckley étant fameuses pour la qualité de leurs informations ethnologiques, qui remontent aux premières années débuts de la colonisation, on peut sans difficulté constater qu’aucune information de la sorte n'y figure. La référence donnée par Pascoe à l'appui de ce passage n'est d'ailleurs pas le récit de Buckley mais, assez étrangement, un article du journal The Age. Pascoe aurait-il par inadvertance, recopié une information erronée ? Que nenni. Le nom de William Buckley n'apparaît dans cet article qu’incidemment, pour signaler que celui-ci mentionne la pêche aux anguilles - au demeurant sans employer aucun dispositif de piégeage. C’est donc bel et bien Pascoe qui s’autorise à broder et à inventer des détails qui donneront à son récit plus de couleurs et d’attractivité.
Le second exemple a déjà été abondamment commenté par les critiques de Bruce Pascoe. Il s'agit de la manière dont Dark Emu restitue certains épisodes figurant dans les récits des explorateurs Charles Sturt et Thomas Mitchell. Cet aspect est d'autant plus crucial que ces deux sources constituent les piliers majeurs de ses développements (en fait, de ceux de Gerritsen) : celui-ci ne cesse d'y revenir, évoquant leur nom respectivement 52 et 57 fois au cours du texte. Ne pouvait raisonnablement énumérer toutes les restitutions problématiques de ces récits que contient Dark Emu, je n’en citerai que quelques-unes.
La première concerne l’épisode au cours duquel l'expédition de l'explorateur, accablée de chaleur et de fatigue, fut secourue par un groupe d'Aborigènes. Sturt parle d’un groupe de 300 à 400 personnes – lors de la rencontre, il compte les adultes masculins qui l’entourent et dénombre 69 individus. Accueillis dans leur campement (le terme est de Sturt), lui et ses hommes se voient offerts de l’eau, « quelques canards rôtis et du gâteau ». Ce gâteau est en fait une galette obtenue par la cuisson de la farine des céréales sauvages récoltées par les Aborigènes. Durant la soirée, d’ailleurs, les femmes sont « occupées à broyer les grains entre deux pierres pour faire des gâteaux, et le bruit qu'elles produisaient était exactement celui d'une usine de tissage. »
Sous la plume de Bruce Pascoe, les gâteaux étaient « les meilleurs auxquels [Sturt] avait jamais goûté », une information qu’on cherchera en vain dans le texte original. Quant à la mouture des grains par les femmes, sans doute pas assez moderne, elle devient ni plus ni moins que « le ronronnement de centaines de moulins » !
Au passage, le broyage des graines sauvages en farine et la confection des gâteaux / galettes donne lieu à un sérieux dérapage. Ayant noté l’ancienneté des meules australiennes, dont certaines remontent à 30 000 ans, Bruce Pascoe laisse échapper un cri de triomphe :
« Ceci fait de ces gens les plus vieux boulangers du monde, avec une marge de presque 15 000 ans sur leurs successeurs immédiats, les Egyptiens, qui ne firent pas de pain avant -17 000 (…) Pourquoi nos cœurs ne s’emplissent-ils pas d’émerveillement et de fierté ? ».
À titre strictement personnel, j’avoue ne ressentir ni honte, ni fierté particulière à ce que la cuisson des céréales, la taille levalloisienne du silex, l’écriture, le zéro, le fil à couper le beurre ou la pile atomique aient été découverts à tel endroit de la planète plutôt qu’ailleurs ; et je laisse volontiers ce type de sentiments aux « imbéciles heureux qui sont nés quelque part ». Mais il faut également croire que le désir (récurrent au cours du livre) de faire des Aborigènes les champions de la précocité ne favorise pas l’objectivité. Pour commencer, bien qu’on puisse penser que les deux phénomènes soient liés, la datation mentionnée par Dark Emu ne concerne pas la cuisson des galettes à proprement parler, mais le broyage des grains au moyen de pierres. Or, divers sites européens et asiatiques ont livré des datations approchantes – le « record » actuel, détenu par un outil tiré d’une grotte italienne, égale l’ancienneté de ses homologues australiens.
Au demeurant, l’obsession pour hisser les Aborigènes sur la plus haute marche du podium de l’antériorité le conduit, sur la base d'une seule découverte pour laquelle bien des conditionnels s'imposent, à pourfendre les datations les plus communément admises de leur arrivée sur le continent, à savoir environ 50 000 ans, pour ajouter quelques dizaines de millénaires. Et, histoire de faire bonne mesure, à balayer d’un revers de main la date à laquelle les archéologues situent communément les transformations marquantes ayant conduit à des progrès techniques et à une « intensification » de la production (selon le terme consacré), soit il y a environ 4 000 ans : tout cela, affirme Pascoe, est infiniment plus vieux. Et comme ce qui est ancestral ne saurait être que bon, il « soupçonne qu’il existe des éléments d’agriculture, de conservation, de culture et de gouvernement qui, ayant été éprouvés par la société Aborigène durant un minimum de 80 000 ans, contiennent des messages profitables à la nation ».
Petits - et gros – arrangements avec les faits (2) :
Des villages de 1000 habitants... et plus !
En une autre occasion, toujours selon Bruce Pascoe, « Sturt avait vu un village sophistiqué [?] de 70 huttes à dômes sur le fleuve Darling, chacune capable de loger jusqu’à 15 personnes », cette affirmation étant illustrée par l’extrait suivant du journal de Sturt :
« [Les maisons] étaient faites de solides branchages fixés à un cercle sur le sol, de manière à se rejoindre au centre (…) Elles mesuraient de huit à dix pieds de diamètre, et environ quatre pieds et demi de haut, l’ouverture tant juste assez large pour permettre à un homme de s’y glisser ».
Si l’on utilise les unités modernes, les dimensions des habitations étaient donc de 2,50 à 3 mètres de diamètre, pour 1,40 mètre de haut. Qu’importe, cela suffit à Pascoe pour y loger quinze personnes ! Et ce n’est pas tout : le début de la phrase, caviardé dans la citation reproduite par Dark Emu qui évoque 70 maisons, mentionne en réalité : « sept ou huit huttes ». Comme il est très improbable qu’une inadéquation aussi grossière entre la citation et son commentaire soit le fait d’une double étourderie de l’auteur et de l’éditeur (il s’agit là de la seconde édition d’un livre déjà vendu à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires), la seule explication que le commentaire de Pascoe s’applique en réalité à un autre passage de Sturt, qu’il cite également par ailleurs (voir ci-dessous). Son adjonction à une citation tronquée et qui ne lui correspond en rien n’est là que pour donner l’illusion que les descriptions de villages dans le récit de Sturt sont plus nombreuses qu’elles ne le sont en réalité.
La présence de nombreux villages – Bruce Pascoe emploie même de manière récurrente, et contre toute rigueur, le terme de « villes » – de 1000 habitants, qui auraient été observés à plusieurs reprises, est en effet un des arguments-clés de Dark Emu. Mais aucune concentration de ce genre n’ayant jamais été véritablement observée (quelques très rares cas suscitent tout au plus le doute), la thèse nécessite une présentation pour le moins avantageuse des faits.
L’unique extrait dans lequel Sturt fournit des informations qui plaident dans le sens de Pascoe est donc celui-ci :
le 5, le fleuve nous conduisit en direction du sud et de l'ouest. Tôt dans la journée, nous passâmes un groupe de 70 huttes, capables de contenir entre 12 et 15 hommes chacune. Elles semblaient être des habitations permanentes, et toutes étaient orientées vers le même point cardinal.
On notera cependant qu'une telle observation, qui conclut à une capacité d'hébergement maximale d'un millier de personnes, appelle un minimum de prudence : si l'existence de constructions pérennes et, très probablement, régulièrement occupées, est incontestable, en revanche il est tout à fait possible que ces constructions n'aient pas toutes été occupées en même temps, ou qu'elles ne l'aient été que durant une période restreinte, par exemple à l'occasion de la récolte d'une ressource saisonnière particulièrement abondante.
Les habitats de pierre du lac Condah, dessinés par Paul Memmott |
Du côté de l’explorateur Thomas Mitchell, l’autre source majeure de Pascoe, les éléments ne sont guère plus probants, malgré l’affirmation selon laquelle il aurait exprimé sa « stupéfaction » devant la taille d’une agglomération dans le Queensland : « Mitchell compte les maisons et estime la population à plus d'un millier. Il est déçu que personne ne soit présent; manifestement, les habitants viennent de partir, et tout indique que les lieux sont occupés depuis des temps très anciens ».
Or, le passage correspondant dans le journal de Mitchell est le suivant :
« Ce jour-là, nous avions remarqué quelques-unes de leurs huttes qui étaient de construction très différente de celles des Aborigènes en général : elles étaient vastes, circulaires et faite de tiges droites qui se rejoignaient à un mât vertical placé au centre. L'extérieur avait d'abord été couvert d'écorce et d'herbe puis entièrement badigeonné d'argile [il s'agit donc de torchis, CD]. On avait fait du feu presque au centre, et on avait laissé un trou au sommet en guise de cheminée. L'endroit semblait avoir été utilisé comme habitation régulière durant des années. »
La suite de l'extrait décrit les objets qui se trouvaient dans des huttes désertées par leurs habitants, dont Mitchell précise qu'ils avaient très probablement fui à leur arrivée. Point de stupéfaction, donc, et pas davantage de comptage – quant à l'ancienneté supposée de l'occupation des lieux, on voit avec quelle aisance Pascoe transforme les années évoquées par Mitchell en siècles ou en millénaires.
En réalité, dans l'ensemble du journal de Mitchell, le seul et unique passage auquel les mots de Pascoe pourraient s'appliquer est celui daté du 11 juin. Comme on peut le constater, l'information est beaucoup moins spectaculaire que ce qu'il en prétend :
« D'après le nombre des huttes le long de la rive du fleuve, il était évident que les habitants étaient nombreux, et j'étais par conséquent d'autant plus surpris que notre dépôt ait pu subsister aussi longtemps près d'eux sans qu'ils ne le découvrent ».
Mais on ne saurait refermer ce chapitre sans mentionner le passage au cours duquel Pascoe dégaine une estimation qui surpasse toutes les autres. Celle-ci concerne les rives du lac Condah, celles-là même qui ont livré les restes d’habitats dotés de murs de pierre. On apprend donc qu’« environ 10 000 personnes vivaient une vie plus ou moins sédentaire dans cette ville ». Au diable l’avarice ! Telle qu’elle est rédigée, la phrase laisse entendre qu’elle ne ferait que reprendre des idées avancées par l’archéologue qui a fouillé le site, Heather Builth. Mais aucune référence précise ne permet d’en avoir le cœur net (Builth, manifestement citée de seconde main, ne figure pas dans la bibliographie). En réalité, le chiffre de 10 000 personnes avancé par Builth (et lui-même, peut-être contestable) n'estimait pas une population sédentaire et « urbaine », mais le nombre d'individus potentiels pouvant être nourris lors de rassemblements temporaires par les poissons pêchés dans les barrages édifiés à cette intention.
Agriculture, aquaculture et stockage : une tentative de synthèse raisonnée
Il n'est pas possible, sans allonger déraisonnablement ce compte-rendu, de passer au tamis l'ensemble des affirmations de Dark Emu ; mais l'ensemble de l’exposé souffre des mêmes travers. Au motif louable de réhabiliter certaines réalisations Aborigènes souvent méconnues, le texte en présente une image partiale, biaisée, quand ce n'est pas franchement fantaisiste. Qu'en est-il donc des trois dimensions majeures de la thèse de Bruce Pascoe que sont le stockage, l'aquaculture et l'agriculture ?
Partout dans le monde, hormis dans quelques milieux particulièrement favorisés (et très généralement côtiers), le stockage constitue un dispositif majeur de la sédentarité : il permet de réduire la mobilité là où les ressources font partiellement ou totalement défaut à certains moments du cycle annuel. Contrairement à ce que suggère l'auteur tout au long de Dark Emu (et le même reproche pourrait être adressé au livre originel de Gerritsen), le stockage n'est cependant nullement un marqueur de l'agriculture : de même qu'il existe des agricultures sans stockage (en particulier, celles qui, en milieu équatorial, sont fondées sur les tubercules), il existe des économies de chasse-cueillette articulées sur un stockage plus ou moins important – tel était le cas du célèbre exemple ethnographique de la Côte Nord-Ouest du continent américain. Il est avéré que certaines des tribus aborigènes pratiquaient le stockage à un certain degré (tout particulièrement, dans la région des fleuves Darling et Murray). Mais, tout comme pour la taille des villages, Pascoe exagère et déforme les sources en leur faisant dire à plusieurs reprises que ces stocks atteignaient ou dépassaient la tonne. Serait-il avéré, ce chiffre resterait relativement d’ailleurs modeste ; mais dans la presque totalité des cas, les éléments archéologiques et ethnographiques plaident pour des dimensions plus réduites. Par ailleurs, et contrairement à ce que suggère le livre, rien ne permet avec certitude de relier ces stocks à des pratiques agricoles. Tout indique en effet qu’ils étaient constitués de végétaux sauvages, ignames ou graminées, récoltés parfois en masse dans certains lieux favorables – ce à quoi il faut ajouter l’existence possible, mais non prouvée, d’un fumage-séchage du poisson dans certains endroits, tels le lac Condah. Sauf peut-être dans la région de la Darling (mais sur ce point, les preuves sont extrêmement ténues), rien ne vient sérieusement appuyer l’idée qu'une partie de ces réserves auraient servi à autre chose qu'à une consommation différée et qu'elles auraient pu être semées, selon le schéma traditionnel d'une agriculture céréalière. L’interprétation la plus raisonnable de ces dispositifs est donc celle qui consiste à y voir un « certain » degré de sédentarité et de stockage parmi les tribus concernées, à l’instar de bien d’autres chasseurs-pêcheurs-cueilleurs observés dans d’autres parties du monde.
La présentation des dispositifs destinés à gérer l'eau est encore plus biaisée. Les Aborigènes avaient construit deux grandes catégories d'ouvrages. Il existait pour commencer des « pièges à poissons », dont les plus monumentaux sont ceux de Brewarrina. Des tranchées avaient été creusées et des pierres empilées – au prix d'une dépense de travail manifestement considérable, étant donné l’ampleur de la réalisation – pour permettre de forcer le passage des poissons et permettre de les attraper aisément en les guidant vers des bassins de faible profondeur. Ces dispositifs, qui étaient de surcroît régulièrement entretenus, permettaient manifestement de réaliser des prises en grandes quantités à certains moments de l’année, voire, de permettre à un certain nombre d’individus de vivre à demeure à leur proximité immédiate (ce que certaines sources ethnologiques semblent accréditer). On ne voit cependant pas ce qui autorise à rassembler ces ouvrages sous le nom d' « aquaculture » – un choix qui n’a rien d’un lapsus, puisqu’il s’agit rien moins que du titre du chapitre concerné ! Les poissons n'étaient ni nourris, ni soignés, et leur reproduction n'était en rien contrôlée. À ce compte-là, les chasseurs du Solutréen qui guidaient les troupeaux de chevaux sauvages dans des enclos ou vers des falaises pour les abattre plus aisément devraient être appelés des éleveurs !
Les pièges à poissons de Brewarrina |
L'autre catégorie de réalisations est représentée par des barrages, destinés parfois à retenir l'eau, parfois à l'obliger à s'étaler sur de larges surfaces afin de les irriguer et de favoriser la pousse des végétaux. Là encore, il ne s'agit nullement de sous-estimer le travail accompli, ni les connaissances que de tels réalisations impliquaient. Mais là encore, il faut que les mots et les catégories conservent un sens si l’on veut pouvoir raisonner. Parler, ainsi que le fait Bruce Pascoe à plusieurs reprises, d’agriculture irriguée à propos d’un dispositif favorisant la pousse des plantes sauvages (ou, par son intermédiaire, la présence du gibier), n’est rien d’autre qu’un abus de langage – et plus encore lorsque le dispositif en question, si ingénieux soit-il, a pour seul but de retenir l’eau afin de permettre aux êtres humains de s’abreuver.
En fait, comme on l’a dit, la plaidoirie de Gerritsen en faveur de la présence, en certains lieux, d'une authentique agriculture aborigène, s’appuyait sur quelques éléments bien réels : dans certaines régions, il est avéré que les Aborigènes, lorsqu’ils récoltaient les ignames, savaient en découper une partie pour la replanter aussitôt. De même, la manière dont ils extrayaient ces tubercules constituait une certaine préparation du sol qui en favorisait la repousse. Les pratiques de semis, pour leur part, restent selon les cas hypothétiques ou assez limitées. L’existence de telles pratiques, en particulier, dans la zone du fleuve Darling, où le millet sauvage était récolté puis battu sur une échelle importante, reste une simple possibilité, que rien ne confirme de manière probante. L’article que Harry Allen consacra en 1974 à la mosaïque de peuples qui vivaient dans cette région, posait d’ailleurs la question de savoir pourquoi ces tribus n’avaient jamais franchi le pas qui les auraient conduit vers une authentique agriculture – définie, en particulier, comme la domestication de l’espèce sauvage Panicum decompositum.
En fait, si Gerritsen a eu le mérite de mettre en lumière un certain nombre de pratiques de manipulation des végétaux, on n’est pas obligé de le suivre lorsqu’il tire à toute force ces pratiques sous la définition de l’agriculture pleine et entière. Sa définition, qui exclut en particulier le critère de la domestication, mais qui inclut celui de la récolte (alors que la récolte d’espèce sauvage n’est rien d’autre que ce que l’on appelle usuellement la cueillette), est forgée dans ce but. Mais si, comme l’écrit Beth Gott (qui, elle, tient à s’exprimer de manière rigoureuse et nuancée), à propos de la manipulation des ignames, « la distinction entre la ‘cueillette’ et la ‘culture’ semble moins abrupte que l’on pouvait le croire », ce n’est pas pour autant qu’on peut l’effacer. En Australie, et essentiellement à propos de deux régions, on peut tout au plus parler de proto-agriculture, ou d’agriculture émergente. Mais, outre la relative rareté des indices qui témoignent de ces pratiques, il est tout de même significatif que celles consistant à préparer les sols et à prendre soin des plantes durant leur croissance, par exemple par du désherbage, ne sont nulle part évoquées, pas plus qu’il n’existe la moindre trace d’élevage, fût-il rudimentaire.
L’autre dimension de l’argument de Pascoe est le rôle – dont l’importance, en revanche, est unanimement reconnue, même si dans le détail, elle continue à faire l’objet de discussions – des mises à feu régulières d’une partie des paysages australiens dans le façonnage millénaire de l’environnement et le renouvellement (ou la sélection) des espèces. Ce point, qui avait déjà été signalé en passant par Gerritsen, a été récemment développé dans le livre de Bill Gammage, qui est venu rappeler l’importance de cette pratique, qu’un archéologue appelait dès 1969 avec un certain sens de la formule, la « culture à la torche » (fire-stick farming). Mais la « culture à la torche » n’est, sauf à tordre là encore le sens des mots, pas réellement une « culture ».
Les mises à feu pratiquées par les Aborigènes, ici pour la chasse (Lycett, début XIXe) |
En réalité, le problème tient peut-être moins à l’identification de ces pratiques qu’à leur interprétation plus générale, le long des multiples voies qui ont conduit, depuis la chasse, la pêche et la cueillette, à l’agriculture et à l’élevage. Les ignorer purement et simplement n’est évidemment pas une option. Mais, pour autant, les faire entrer à tout prix dans la catégorie de l’agriculture pour des motifs qui doivent bien peu à la science, et beaucoup à un agenda politique bien particulier, ne peut qu’enfermer la discussion dans un dilemme stérile. Il y a certainement beaucoup à apprendre du cas australien, à condition de ne pas l’enrôler dans de fausses problématiques. Le fait que les chasseurs-cueilleurs de ce continent – car c’en étaient bel et bien – aient agi sur leur environnement selon des voies et à une échelle qui ont longtemps été sous-estimées, peut en effet amener à conclure qu’ils doivent, de ce fait, être considérés comme des chasseurs-cueilleurs assez (ou très) particuliers. C’est peut-être le cas. Mais on peut aussi se demander si la question n’est pas tout simplement mal posée, et si notre conception de la norme des chasseurs-cueilleurs n’est pas lourdement influencée du fait que ceux que nous connaissons le mieux en ethnologie vivaient soient dans des environnements désertiques, soit dans des forêts denses, c’est-à-dire dans des milieux où leur action sur l’environnement était par la force des choses assez limitée. À cela il faut ajouter le biais archéologique, qui fait que pour les périodes préhistoriques les mieux connues, tout ce qui relève de l’organique et du végétal se préserve très mal. Pour ces raisons, et sans doute aussi pour quelques autres, l’image que nous nous sommes forgés des chasseurs-cueilleurs « typiques » est sans doute déformée en faveur de l’activité de chasse, et notre perception de leur économie penche fortement du côté de la prédation passive – ne les oppose-t-on pas classiquement aux seuls « vrais » producteurs que seraient les cultivateurs ? Mais les accomplissements des Aborigènes – pour peu qu’on les discute sérieusement, ce que ne permet pas ce livre – invitent à concevoir que dans les zones tempérées au moins, l’économie de chasse et de cueillette ait pu exercer un impact tout à fait significatif sur l’environnement, impact en partie conscient et entretenu par des pratiques volontaires et qui, en rétroaction, affectait grandement les ressources dont disposaient ces peuples.
Pour finir, il faut noter que Dark Emu n’aborde que très incidemment les structures sociales aborigènes. Pour celui qui tient à toute force à démontrer que ces sociétés possédaient tous les attributs techniques post-néolithiques, cela peut paraître étonnant. En réalité, dans la perspective qui est la sienne, il vaut mieux éviter ce terrain glissant : comment éviter dans ce cas de penser qu’avec l’agriculture, l’irrigation, la sédentarité et le stockage, étaient apparus privilèges matériels et inégalités de richesse, comme ce fut le cas partout ailleurs dans le monde ? Les chercheurs qui ont plaidé en faveur d’une « complexité » de certaines sociétés australiennes ont rarement manqué de citer les quelques témoignages ethnographiques (au demeurant, très douteux) qui allaient dans ce sens, c’est-à-dire ceux de Stähle et de Dawson sur les Gunditjmara de la région du lac Condah. Bruce Pascoe, pourtant si enclin à faire feu de tout bois, n’utilise pas cet argument tout trouvé, pour une raison simple : son objectif est d’idéaliser non seulement les accomplissements techniques des Aborigènes, mais aussi leurs rapports sociaux. Dès lors, il ne s’agit surtout pas d’amener le ver de l’inégalité sociale avec le fruit du développement technique. Des sociétés aborigènes, on apprendra donc simplement qu’elles étaient un modèle de démocratie, et qu’elles avaient « construit un système de gouvernement pan-continental qui engendrait la paix et la prospérité ». Autant d’appréciations qui, pour qui connaît la réalité de ces sociétés, se situent quelque part entre l’exagération et la franche affabulation.
Sur la Côte Nord-Ouest américaine : des chasseurs-cueilleurs sédentaires, stockeurs... et socialement très inégalitaires |
Pour finir, un peu (beaucoup) de politique
Bruce Pascoe |
Je le disais en introduction : avec Dark Emu, Bruce Pascoe poursuit aussi (et surtout ?) des objectifs politiques. Ceux-ci sont affichés comme tels : selon lui, la vision des Aborigènes comme des chasseurs-cueilleurs n’exploitant pas le sol aurait contribué à forger l’argument de la Terra Nullius qui a légitimé la colonisation. Plus encore, il continue à le faire :
« L’insistance sur l’utilisation du qualificatif de chasseur-cueilleur est préjudiciable aux droits fonciers des Aborigènes. »
« La croyance selon laquelle les Aborigènes étaient de ‘simples’ chasseurs-cueilleurs a été utilisée comme un instrument politique pour justifier leur dépossession. Chaque application des Droits sur la Terre (Land Rights) procède de l’idée que les Aborigènes et les peuples du Détroit de Torrès ne faisaient que collecter les ressources disponibles et n'avaient donc aucune interaction organisée avec le territoire, c'est-à-dire que la population indigène ne possédait ni n'utilisait la terre. »
Je suis très loin de connaître suffisamment la situation locale pour savoir quel degré de vérité contiennent ces affirmations. Il est évident que la situation globale des Aborigènes constitue depuis deux siècles une plaie ouverte dans le corps de la société australienne, qu’aucune mesure n’est pour le moment parvenue à refermer. Et il est tout aussi évident que les demandes des communautés Aborigènes en termes de droits fonciers, qui se sont affirmées dans les dernières décennies, représentent des enjeux financiers trop considérables pour que les possédants ne s’y opposent pas vent debout.
Mon premier mouvement est qu’il y a quand même quelque naïveté (feinte ?) à croire qu’en soi, la reconnaissance de pratiques agricoles réelles ou supposées chez les Aborigènes changerait quoi que ce soit de fondamental aux données du problème. Le fait que les Aborigènes aient été dans une très large mesure des chasseurs-cueilleurs a sans doute fourni un prétexte commode à leur dépossession par les Occidentaux. Mais, à ce que l’on sache, l’existence de l’agriculture n’a jamais arrêté aucune colonisation dans le monde, sur aucun continent que ce soit. Pour ne prendre que cet exemple, l’Amérique du Nord était, lors du contact, peuplée selon les zones, de sociétés de chasseurs-cueilleurs ou de cultivateurs, ces dernières étant parfois fort denses. Quant à l’Afrique, elle était presque tout entière agricole, qui plus est organisée en États. En quoi cela a-t-il protégé les populations de l'avidité des conquérants ?
En fait, si Bruce Pascoe maltraite à ce point les faits, c’est parce qu’il raisonne en nationaliste – un nationaliste à la fois Aborigène et Australien. Comme tout nationaliste, il tient à glorifie le passé du groupe auquel il se rattache ; et si le passé ne se prête pas assez volontiers à cette glorification, il le mythifie un peu, beaucoup, ou passionnément. Quant au rôle dont il rêve pour les Aborigènes, ce n’est certainement pas de contribuer à renverser l’ordre social capitaliste, mais de s’y intégrer, et d’y prendre leur part du gâteau – bien plus appétissant, n’en doutons pas, que celui jadis offert à Sturt. Lorsque Pascoe écrit que « le problème n’est pas la différence entre le capitalisme et le communisme ; c’est la différence entre le capitalisme et l’Aboriginalisme », il ne faut surtout pas se méprendre : ce qui est visé par cette maxime n’est pas le capitalisme, mais justement, le communisme. Car, voyez-vous, si seulement on écoutait ce que les Aborigènes ont à dire, le capitalisme en général, et le capitalisme aborigène en particulier, s’en porteraient à merveille. Parlant des céréales jadis récoltées par les tribus d'Australie et de leur possible culture aujourd’hui, Pascoe s’exclame :
« Actuellement, il n'y a pas de marché pour ces céréales, mais je parie qu'un étal dans n'importe quel marché de la ville pourrait en vendre des farines à des prix élevés aux amateurs d'aliments complets. Les marchés sont créés par des entrepreneurs. Mettez de côté quelques enclos et amusez-vous, et je mangerai mon chapeau si cela ne rapporte pas de profit. »
Le clou est enfoncé un peu plus loin :
« Notre but est qu’un individu, ou un groupe de jeunes Aborigènes du coin fassent des résultats de cette investigation une industrie profitable. »
Et si Paris valait bien une messe, les bourses de Sydney, de Londres et de Wall Street, elles, auraient selon Bruce Pascoe tout à gagner à s'inspirer de la spiritualité qui imprégnait (et imprègne encore) les communautés aborigènes :
« Dans la vie aborigène, l'esprit et le monde corporel sont unis ; mais dans la société européenne, l'économie fonctionne indépendamment de l'esprit et, comme l'illustrent les exemples modernes, presque au mépris du code moral religieux. Le krach financier de 2009 et le déversement de pétrole dans le golfe du Mexique en 2010 sont survenus parce que la morale chrétienne de la plupart des participants avait été exclue de leurs transactions commerciales. »
Jetez Le Capital et ouvrez l'Évangile selon Saint Bruce : la messe est dite.
Il reste une dernière question, peut-être la plus douloureuse : comment expliquer que le camp progressiste australien, pour autant que je puisse en juger depuis mon écran d’ordinateur, ait choisi dans une quasi-unanimité de chanter les louanges d’un ouvrage qui maltraite les faits avec autant d’insouciance, promeut le surnaturel comme guide moral et l’entreprise capitaliste comme perspective politique ? Et pourquoi les principales, sinon les seules voix qui s’élèvent pour dénoncer l’imposture sont-elles celles de réactionnaires animés des pires intentions ?
Je ne vois d’autre réponse que celle, qui, aux mêmes causes, produit les mêmes effets sous nos latitudes : beaucoup se sentent paralysés à l’idée de critiquer quoi que ce soit qui vienne des opprimés et, par une solidarité dévoyée, renoncent à combattre pour la raison et l’émancipation sociale. Encore une fois, je n’ai d’autre connaissance de l’Australie que livresque. Mais je crois pouvoir imaginer la pression sociale que représente l’épouvantable sort fait aux Aborigènes, et la difficulté à proposer une voie indépendante, entre le suivisme vis-à-vis du communautarisme des deux bords. Cette impuissance prend d’ailleurs des allures de déroute, si j’en crois cette publication universitaire qui se veut un guide de référence pour former les instituteurs, afin de les éclairer sur la question des termes « appropriés » et « moins appropriés » (voire carrément « offensants ») à propos des Aborigènes.
Certains passages font sourire. D’autres laissent franchement perplexes, comme celui qui explique qu’il ne faut pas user du terme « préhistorique » à propos des sociétés traditionnelles, car « l’usage de ce terme dénie la validité de l’histoire des Aborigènes d’Australie avant ce qui est communément considéré comme l’Histoire écrite, et avant le contact européen. Il dénie également la place des Aborigènes australiens dans l’Histoire ». Avec une logique aussi imparable, il me semble qu’il faut immédiatement cesser de parler de préhistoire à propos de Lascaux, sauf à offenser gravement les Magdaléniens ou ceux qui se considéreraient comme leur descendants.
Mais le meilleur – ou plutôt, le pire – est à venir. On apprend en effet que pour parler des origines du peuplement humain sur le continent, il est « approprié » d’utiliser l’expression « depuis le début du Temps du Rêve », car cette locution « reflète les croyances de nombreux Australiens selon lesquelles ils ont toujours été présents en Australie, depuis le début des temps et ils viennent de cette terre ». Il est « moins approprié » de dire que « les Aborigènes vivent en Australie depuis 40 000 ans », dans la mesure où « 40 000 ans place une limite à l’occupation de l’Australie et tend ainsi à accréditer des théories de migrations et des suppositions anthropologiques. Beaucoup d’Australiens indigènes considèrent cette sorte de mesure et de quantification comme inappropriée ».
Comment s'étonner, dans un tel contexte, du concert de louanges qui a accompagné Dark Emu ? Bien des progressistes se disent sans doute que peu importe le flacon du récit historique, pourvu qu'on ait l'ivresse de la solidarité avec la cause Aborigène. Mais, s'agissant des recommandations aux instituteurs comme de l'accueil dithyrambique fait au livre de Bruce Pascoe, quelle émancipation peut-elle sortir de tels renoncements ? En attendant, une chose est certaine : ce n'est pas avec de la mauvaise conscience qu'on fait de la bonne science.
Bonjour Christophe,
RépondreSupprimer« Mais les accomplissements des Aborigènes – pour peu qu’on les discute sérieusement, ce que ne permet pas ce livre – invitent à concevoir que dans les zones tempérées au moins, l’économie de chasse et de cueillette ait pu exercer un impact tout à fait significatif sur l’environnement, impact en partie conscient et entretenu par des pratiques volontaires et qui, en rétroaction, affectait grandement les ressources dont disposaient ces peuples. »
À ce sujet, voici une théorie intéressante parmi d'autres :
https://www.sciencedaily.com/releases/2016/12/161201092823.htm
« Cette impuissance prend d’ailleurs des allures de déroute, si j’en crois cette publication universitaire qui se veut un guide de référence pour former les instituteurs, afin de les éclairer sur la question des termes « appropriés » et « moins appropriés » (voire carrément « offensants ») à propos des Aborigènes. »
Cette obsession d'une terminologie « appropriée » et « non-offensante » se retrouve plus globalement dans les sociétés anglo-saxonnes (américaine notamment). Je peux en être témoin, travaillant régulièrement (à titre professionnel et bénévole) avec des Américains.
Je ne voudrais pas essentialiser, mais il y a manifestement quelque chose dans la mentalité de ces sociétés qui fait passer la correction et l'apparence du respect (jusqu'à une certain obséquiosité) avant le souci de rigueur et de justesse. Ce qui n'empêche pas, d'ailleurs, une certaine brutalité à l'égard des contrevenants. La plus grande part de l'opposition à ces tendances émane de la droite non-« progressiste », ce qui accentue l'effet de clivage... un bon cercle vicieux, en quelque somme.
Sur le même sujet mais avec des conséquences concernant directement notre pays, un texte de Guillaume Lecointre :
https://especes.org/articles/holdup_musees/
bien à toi
Antoine.
Bonjour Antoine, et merci de ta réaction. J'avais vu passer le billet de G. Lecointre, et surtout, l'hallucinant texte qui l'a inspiré. L'article sur les mises à feu du Paléo a l'air tout à fait stimulant, je vais le lire aussi vite que possible. Sur la complaisance vis-à-vis des âneries défendues par les opprimés (et la théorisation de cette complaisance), je dirais bien que cela a moins à avoir, en soi, avec une "mentalité" qu'avec une histoire politique, où ces sociétés n'ont été marquées ni par un combat de la bourgeoisie pour saper l'influence de l'Eglise, ni par un mouvement ouvrier révolutionnaire qui aurait fourni un drapeau rationaliste (matérialiste) et universaliste aux opprimés. D'où ce qu'on appelle le multiculturalisme, et qui est en fait un truc sur le mode : que chacun croie aux âneries de son choix, pourvu que toutes les bourgeois de toutes les communautés aient un accès à peu près équivalent à la mangeoire. Mais ce ne sont que des impressions (peut-être fausses, et sûrement partielles), il faudrait creuser le sujet d'un point de vue émancipateur qui est hélas devenu bien minoritaire.
SupprimerBonjour,
RépondreSupprimerLa dépossession des aborigènes pour cause de retard, de sauvagerie (dite encore non-civilisation) est justifiée depuis fort longtemps par les colonisateurs, et pas seulement en Australie. Le cas des Indiens du centre de l’Amérique du Nord (plaines, prairies, etc.) est très connu mais, même pour ceux pour lesquels la terre est secondaire et qui vivaient copieusement des produits des cours d’eau et de la mer, cela reste vrai.
En 1868 G. Sproat (commissaire des terres indiennes), déclarait déjà que les natifs « n’occupaient pas, en un sens civilisé, la terre », puisqu’ils se contentaient de « chasser des animaux dans la forêt, de cueillir des fruits sauvages et de couper quelques arbres pour faire des canoës et des maisons » (Right of Savages to the Soil). Ce jugement concernait les Nootka, un des peuples de chasseurs-pêcheurs-cueilleurs les plus connus de la Côte Nord-ouest de l’Amérique du Nord.
Dans leurs tentatives de récupérer leurs terres, les Indiens cherchent aujourd’hui à montrer que, s’ils ne cultivaient pas des parcelles de terres, ils n’en étaient pas loin. Comme tous les chasseurs-cueilleurs, les Indiens prenaient bien soin de leurs terres dont ils tiraient des fruits et légumes indispensables à leur alimentation et à leur artisanat, tout comme ils prenaient bien soin de leurs rivières. Il est clair qu’une pêche excessive de saumons dans une rivière pouvait avoir des conséquences catastrophiques sur les générations suivantes de saumons et il est évident que ce genre d’erreurs devaient arriver. Pourquoi n’en serait-il pas de même, sur terre, du feu ? Le feu, maîtrisé, permet de régénérer la végétation (qu’est-ce que l’écobuage de nos campagnes ?) et de chasser mais, parfois, il échappe au contrôle de ceux qui croient le dominer. Ces accidents peuvent-ils être pris pour une pratique habituelle ? Qu’en disent les modèles paléoclimatologiques ?
@ Momo,
SupprimerIs it not a fact that human evolution has involved and no doubt required, migration and colonisation, otherwise Africa would be very crowded indeed.
The British did not justify dispossession of Aboriginal peoples on the basis of their lack of development. Indeed, they had colonised vastly more developed societies in their time. And been colonised more than once themselves.
We no longer require colonisation for human evolution, although a few pockets remain in the modern world, but we certainly needed it in the past. It is difficult to see why it was wrong for the British to strive to bring Aboriginal peoples into the then modern world, when developed nations spend millions if not billions, seeking to do the same for Third World nations today.
It is a topic which increasingly lacks context as academia becomes increasingly profit-driven and holds opinion to be the equal of facts.
Début de la notice de Pascoe dans la Wikipedia anglaise : "Bruce Pascoe (born 1947) is an Aboriginal Australian writer of literary fiction...". Il me semble que tout est dit !
RépondreSupprimerLa Heather Builth, c'en est une sacrée aussi. Quand on la lit, les Gunditjmara avaient de monstrueuses fermes à anguilles, carrément des usines pour les faire sécher, et ils les exportaient dans toute l'Australie, rien de moins. Mais quand on regarde comment toute cette affaire est bâtie, il n'y a que du creux sur du vide. Il faut voir les photos des soi-disant maisons traditionnelles en pierre, trois cailloux entassés (et par ailleurs très mal datés). Ou celles des arbres à faire sécher les anguilles, que rien ne distingue des autres, si ce n'est de soi-disant analyses chimiques sophistiquées. Pour le reste, c'est un gros montage basé sur du SIG. En passant, le terme d'aquaculture vient d'elle (son bouquin s'appelle "Ancient Aboriginal Aquaculture Rediscovered").
Un autre qui est gratiné, c'est Ray Kerkhove, pour qui les grandes métropoles australiennes n'ont pas été fondées à partir de rien, mais trouvent leur origine dans de gros campements aborigènes. Tout ça s'inscrit dans ce que les Australiens appellent l'Aboriginal Heritage, et qu'il est maintenant de bon ton de considérer comme le fondement de l'identité de la nation australienne. Le tout est agrémenté archéologiquement d'une bonne dose de sauce à la landscape archaeology, le pire courant que l'on ait pu inventer depuis que l'archéologie existe.
Bref, malheureusement c'est complètement général, l'archéologie et l'anthropologie australiennes sont aujourd'hui totalement perverties par l'extrême moraline qui règne dans le pays, et certains sujets sont devenus carrément tabous. Et encore plus malheureusement, le silence des universitaires est assourdissant, quand ils ne sont pas eux-mêmes des chevaliers de la pensée correcte (mais je suppose que si l'on veut faire carrière en Australie, il vaut mieux fermer sa grande g., quoi que l'on pense). Même en Amérique du Nord, où il faut également composer avec les Natives, les choses sont très loin d'avoir cette ampleur... Sur le fond, on peut encore s'interroger sur la nécessité de plaider coupable pour certains faits passés (encore que nul ne peut être tenu coupable pour les conneries de ses ancêtres ; autres temps, autres moeurs), ce qui est un peu partout dans l'air du temps. Mais, comme tu le soulignes, la véritable motivation de tout ce ramdam, de l'Aboriginal Heritage, est au moins autant à chercher dans l'envie de partager le gâteau capitaliste que dans celle de réhabiliter la mémoire des Aborigènes.
Reste que pour nous et sur un plan strictement scientifique, je suis d'accord avec toi que l'Australie pose la question de la définition et de la caractérisation des chasseurs-cueilleurs, et offre de ce point de vue un éventail de données qui n'existent pas ailleurs et qu'on aurait tort de négliger.
Sur Builth et les Gunditjmara, j'avais également été assez surpris par l'écart entre ce qu'elle affirmait et la minceur – voire l'inexistence – des preuves qu'elle avançait. À ma connaissance, elle ne produit pas le moindre élément sur le commerce supposé des anguilles séchées, et l'affirmation procède en réalité d'une pure spéculation. Mais le plus frappant, c'est que ces travaux ont l'air d'être approuvés (au moins tacitement) par l'ensemble de la communauté archéologique australienne. Je ne suis jamais tombé sur une quelconque critique, et la « complexité » de la société Gunditjmara semble être devenue une vérité indiscutable.
SupprimerI would suggest that you check all of Pascoe's sources as cited in Dark Emu - much of it can be done online. When you do you will realise that Pascoe, whose only expertise is as a fiction-writer, has edited, misquoted, misinterpreted, fancified and falsified those sources.
RépondreSupprimerIn addition, Pascoe, while claiming to be descended from a few Aboriginal groups, has been rejected by those groups as having any connection. An expert in family ancestry traced Pascoe's family back and it is all English for three and more generations.
So, not only is Pascoe a writer of fiction he is an inventor of ancestry.
I wonder if you've really read what I've written? My post is essentially a critique of Pascoe, based (among other things) on careful verification of his sources. On this subject, in the meantime, I have learned of the forthcoming publication of a book by Peter Sutton, one of Australia's most qualified anthropologists, who also criticizes Dark Emu on bases very similar to this post.
SupprimerAs for the polemic on Pascoe's origins, let me not put a toe in this debate for which the Australian right seems to be so fond. As far as I am concerned, I stick to the ideas and their scientific value, which does not depend on the chromosomes, sex or pigmentation of the person expressing them.
Sorry, I had trouble getting it to remain in an English translation and did not read all of it initially. I apologise for my error.
SupprimerVery wise to stay out of Pascoe's origins, it is a minor issue. What really matters are facts and forensically rigorous history. Your work is greatly appreciated.
Sorry, my French is so rusty that I dare not inflict it on readers. But Roslyn Ross's comment (above) is correct: 'Dark Emu' is an entirely misleading load of rubbish, and insult to anybody's intelligence. It blatantly pushes an agenda which purports to be progressive, but I fear that the denial that Aboriginal people here were hunters and harvesters will eventually come back with devastating consequences for Aboriginal people's understanding of their own past.
RépondreSupprimerI have put together about fifteen thousand pages of early documents, mainly from the nineteenth century, on: www.firstsources.info and mainly in relation to the state (colony, province) of South Australia, especially from the Mission of Point McLeay, on Lake Alexandrina, where my late wife and her family came from.
I fully agree that Pascoe's description of traditional Aboriginal societies is at best biased, at worst largely fanciful. And I also agree that this re-reading stems from a highly questionable political agenda - noting if necessary that I, personally, stand on the far left of the political spectrum.
SupprimerMy reaction to Roslyn Ross' commentary was that I seemed to be criticized for not having verified the sources, whereas my entire text is based on a careful examination of Bruce Pascoe's allegations and quotes.
Thank you, Christophe, I fear that Pascoe's fabrication (and there have been plenty of those in Indigenous affairs over the last few decades) will have very destructive effects on Indigenous self-perception when it becomes clear that there is no actual evidence (although many wish with all their hearts that there was) of Aboriginal farming, i.e. cultivation, tending, penning, etc., no tools, no evidence of fence-lines or storage, or development or selection of crops, no taming and using of animals (except dogs from S-E-Asia from perhaps 4,000 years ago, brought to the north by Austronesian seafarers). Once hunting-gathering has been utterly demeaned and derided by the opportunist 'Left', and once something like historical truth really bites, what will be remain of their past to sustain Aboriginal people ? Pascoe hasn't committed crimes only against history, against historical materialism if you like, but ultimately against the Aboriginal people across Australia: what will they believe in about themselves once this fraud is exposed ?
RépondreSupprimerBy the way, the Left is a very broad church: coming from the Left-Centre, (i.e. as an ex-Maoist) I object to Pascoe's crimes being in any way associated with any genuine Left: I do not think the truth should be surrendered to the Right. There is too much at stake for Aboriginal people.
Joe Lane, Adelaide, South Australia
I agree with the gist of what you write; and yes, politically speaking, if Pascoe's angle would be highly questionable if it were based on truths, it is even more so as it relies on a totally distorted image of traditional aboriginal economies.
SupprimerMore deeply, we live in an odd period where many representatives of the progressive camp maintain a very distant relationship with facts and truth, sometimes even suggesting that the truth is secondary, or even does not really exist. For my part, I continue to firmly believe that in order to transform society, it will be necessary to rely on lucidity and conscience, and that lies can never, in the end, serve the camp of the exploited ("only truth is revolutionary!").
Returning to Bruce Pascoe and his theses, I highly recommend the forthcoming book written by Peter Sutton and Keryn Walshe, Australia Before Conquest: An Assessment of Bruce Pascoe's Dark Emu, to be published by Melbourne University Press.
@Joe Lane,
SupprimerWell said. I also feel Pascoe's fabrication of the realities of Aboriginal lives is racist and denies the humanity of the people involved. We will never understand anyone if we do not have a true picture of how they lived and the origins of their cultural beliefs which may endure.
In truth, I think Pascoe as a fiction-writer and excellent story-teller, cannot tell the difference between facts and fantasy and did not set out to deceive but rather got carried away with himself and his story.
Why would you assume the voices raised to correct Pascoe have the worst intentions? Many of us who are vocal on this subject do so because we value history as fact not fantasy and are appalled to see what amounts to a racist anti-European polemic, fiction masquerading as history, taught in schools.
RépondreSupprimerAs a foreigner, you have a liberty to speak the truth about Pascoe's book, in ways, it seems, Australian academics feel they cannot. That is a tragedy for history and for academia.
What is so often overlooked is that Aboriginal peoples, and they were many, not one group, without a common language, were not so badly treated by the British or later Australian Governments. The lies and distortions on this issue abound and have done for decades.
Aborigines were British subjects from the early 19th century when all 'Australians' became so labelled, and, in 1949, when we became Australian citizens, not subjects, so did everyone in this land, with or without Aboriginal ancestry. When women in South Australia in the late 19th century were given the vote, so too were Aboriginal women.
Australians with Aboriginal ancestry today, a group numbering around 600,000, range from 100% Aboriginal ancestry, not many of those, to less than 1% Aboriginal ancestry, lots of those, with most so minimally Aboriginal in ancestry they could not call themselves 'native' in any other country in the world.
Not only do those registering Aboriginal ancestry get more benefits than those without such ancestry, but around 30% of this island-continent has been handed over as land rights. Indeed, Aboriginal communities claim and get mining royalties worth billions in ways no other Australians can. The Australian Government, the taxpayers, pour billions every year into trying to resolve the problems in the tiny minority who are still struggling. Most Australians with Aboriginal ancestry, indigenous, are doing fine, many better than most.
Australia has the highest and fastest rate of immigrant intermarriage of any nation and an even higher rate of Aboriginal intermarriage. Most Australians with Aboriginal ancestry are in mixed marriages.
Ancestry researchers have clearly shown Bruce Pascoe has no Aboriginal ancestry, but is English back through many generations. However, flying the Aboriginal flag opens the door to benefits, prestige, power and money and as a consummate story-teller, Pascoe takes full advantage of it.
Yes, Ros, Aboriginal women in South Australia gained the vote when women here got the vote, in 1895 - more than thirty years before French women got the vote. And, by the way, Aboriginal men here got the vote when men generally got the vote, in 1856. The Aboriginal voter turnout for the 1896 election here in South Australia was much higher than the general turnout, at least at Point McLeay Mission. And yes, from the outset, Aboriginal people were declared (whether they knew it or not) to be British subjects.
SupprimerNobody in Australia, Black or White, was a citizen of Australia until the Citizenship Act was brought into effect in 1949, and then all people born in Australia, Black and white, became citizens. What citizenship meant, however, varied.
Pascoe has now been appointed a professor on around $ 200,000 p.a., mainly on the strength of his being Aboriginal. The problem with that is that he isn't: all of his great-grandparents were born in Britain, according to Ancestry.com. This is a very common problem across Australia, with non-Aboriginal people claiming Aboriginality and being put into key positions. When I worked in Indigenous student support thirty-odd years ago, one bloke tried to get into the entry program, claiming that his mother was Indigenous. I queried that and he went elsewhere to another Indigenous program, to become their Aboriginal Scholar of the Year and to secure a key Education Policy position in Canberra. His mother turned out to be a Calabresa (and father Austrian), i.e. both immigrants.
Incidentally, Ros, Aboriginal people down 'south' don't get any royalties unless they live on their own country, so city people are out of it. Most Indigenous people in Australia nowadays live in the cities.
(1). Pascoe is not a graduate in agriculture. In South Australia, there have been Indigenous graduates in agriculture since at least the eighties. In fact, out of a total Indigenous population of around six or seven hundred thousand across the country, currently fifty thousand have graduated from universities, or three thousand each year, with commencements and graduations rising at about 7 % p.a.
RépondreSupprimer(2) Pascoe writes of the colonial use (misuse) of the doctrine of 'Terra nullius' to justify occupation of Australia. The first use of the term was in 1939 (A. Fitzmaurice, "Sovereignty, Property and Empire, 1500-2000", [2014], Chapter 10), by Professor Ernest Scott, in response to an American query during discussions about the legal status of Spitzbergen and Antarctica. The British colonialists never used the term. It seemed to have meant 'land without any recognised system of land tenure', i.e. land sale and purchase, '... territory that should be left common' (p. 312). There were whalers and seamen and traders living on Spitzbergen from before the nineteenth century before its status was settled by an agreement between Sweden, Norway and Russia in about 1912, as a 'land without owners' (p. 313).
Joe Lane, Adelaide
Thanks Joe. Very interesting information regarding Terra nullius.
Supprimer@Unknown Joe Lane
RépondreSupprimer@Roslyn the critical point is - I have not seen mention - only for the money he is receiving/has recieved in a fraudulant manner - which enabled him to promote his books, talks, set up a farm etc etc- which Ros you know about.
Then this discussion would not even be taking place.ristophe would not have had reason to write his 6,000 word paper.
Our aborigine history would not have been compromised for a politica agenda.
Which compromises all Australian society and politics in 2020 and the years to come.
There is a lot of truth in this article of Peter O'Brien's in Quadrant:
Supprimerhttp://quadrant.org.au/opinion/bennelong-papers/2020/08/how-to-impress-fools-and-make-a-fortune/?fbclid=IwAR04TcFpu69EXippto7fOCkPpNsVVpsYWRt3C8SHqt4LIAWJrLWVpgIX7mc
Even his criticism of the NYT is more or less justified: I'm amazed how little people overseas know correctly, and how distorted their views often are of Indigenous realities. That's probably why I harp on the university experiences of Indigenous people, that - as far as I know - not a single member of the Indigenous power elite (perhaps 'Mafia' is too strong a term; just yet) ever cites numbers of Indigenous graduates. For the record, at the last Census in 2016: 49,000, which I think was an exaggeration, just as the population numbers may be: I think, they were then all about 20 % over-estimating, with much double-counting. Now, in 2020, yes, there may be 700,000 Indigenous people in Australia, overwhelmingly urban, and 50,000 university graduates, overwhelmingly female, as in New Zealand, Canada and the US.
What disgusts me is the suspicion that Pascoe has been appointed, not because he may be a graduate - he isn't, not in agriculture - but as a virtue-gesture to counteract a perceived total lack of any Indigenous graduates by the elite universities. As it happens, I have an Indigenous niece who graduated from precisely the University of Melbourne with a Master's degree. I have been keeping track of Indigenous graduate numbers since about 1993 and predict that by 2030, graduate numbers will top 100,000 out of a population of 800,000 - one in every three Indigenous women, one in every six Indigenous men. 80 % urban. But there will still be people who should know better, who will assume that 95 % of Indigenous people are still living in aurlies as hunter-gatherers, when none are now doing so, and that a tiny handful have somehow got to university whe, according to Education Department figures, about 140,000 have been enrolled since 1990 alone, and 25,000 are currently enrolled. With extremely few, however, in agriculture.
I now propose that this debate, as interesting as it is, should be brought to an end, because it is clearly moving away from the original theme of the post.
SupprimerSorry, Christophe, but I just had to 'pre-emptively correct' what might have been misapprehensions about the current situation of Indigenous people in Australia. At most, 20 % of Indigenous people here, maybe far less because of double-counting, live intermittently in remote areas, while they have been part of the Australian social welfare system everywhere for at least sixty years in the most remote areas, and up to two hundred years elsewhere. Perhaps an Insigenous majority now live in metropolitan areas, i.e. in the big cities. More than ninety per cent of urban people inter-marry with non-Indigenous people.
RépondreSupprimerMy wife and I worked for some years in Aboriginal communities: of course, as a whitefella, the first thing I used to do was set up a vegetable garden. People were very mildly interested, especially in observing the clearing, weeding, digging, planting, weeding, watering, weeding, processes - but they were enthusiastic about the harvesting stage. That 'project' lasted three seasons.
Later, at my late wife's community on Lake Alexandrina, we put forward proposals for a step-by-step commercial garden program to develop their beautifully-fertile soil (of lacustrine deposits over millions of years), but not a peep. So we helped her brother run the new dairy there, until it was closed.
Beautiful country, 5,000 hectares, now running a few hundred beef cattle and leasing most of the land for share-cropping. So it looks good on Google Earth. But probably only one or two people actually 'employed'.
@Joe_lane thank you for sharing your experiences.
RépondreSupprimer